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Jean-Pierre Sergent

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Influences II - Amériques

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11 SEPTEMBRE 2001 / BEAUTE, PLAISIR & SEXUALITÉ CONTRE LA BARBARIE / NAVAJO SONG / BEAUTÉ


- "New York, le 19 septembre 2001, je regarde les oiseaux, je touche la feuille d’un saule pleureur, l’eau et le soleil s’unissent dans les nuages..."
  Extrait des Notes de NY.

Comme tous les new-yorkais présents ce jour là, il est difficile de ne pas raconter cet événement terrifiant, qui eut aussi par la suite une influence sur mon travail.
- Les faits :
- vers 9h30 du matin, mon copain artiste Pierre Louaver me téléphone, je dormais du sommeil du juste, car je me couchais alors toujours très tard, et j'ai entendu son message comme dans un rêve, il était très excité et je croyais qu'il me racontait qu'on lui avait arraché deux dents et que c'était très grave !
- Après 11h, Juri une amie artiste m'appelle de Corée, je me réveille enfin et descends de la mezzanine pour répondre. Elle était en larmes au téléphone et m'a demandé si j'avais eu des nouvelles de notre ami Bruno qui travaillait au WTC ? Je ne compris pas pourquoi, elle me dit alors que les deux Twin Towers s'étaient effondrées ? J'ai alors raccroché le téléphone et couru sur le toit de l'atelier ( à NY tous les toits sont plats comme des terrasses ) ! J'ai vu alors une marée humaine traversant à pied le Queensboro Bridge qui relie Manhattan au Queens par dessus l'Est River. Les tours avaient disparu du paysage et à la place ce n'était qu'un immense écran de fumée et de débris : le vide, le manque, l'absence, l'effondrement, la disparition, l'angoisse !
- Dans la soirée mon amie Mayumi qui travaillait au pied de WTC, m'a dit qu'elle était saine et sauve, mais qu'elle avait été coincée dans le métro et qu'elle avait dû rentrer chez elle à pied, d'un bout à l'autre de l'île de Manhattan.
- Un peu plus tard j'eus des nouvelles de mon ami Miguel qui avait assisté à l'effondrement des buildings et qui avait avalé et respiré pas mal de poussières, mais qui allait bien.
- Ce ne fut que quelques semaines plus tard que Bruno Dellinger me contacta pour me dire qu'il allait bien, mais qu'il s'en était sorti à quelques minutes près, il raconte son aventure dans son émouvant livre : World Trade Center, 47e étage. Heureusement tous mes amis étaient sains et saufs !

Comment apaiser la violence du monde, comment réensemencer le vide, comment guérir les souffrances humaines ? Les anciennes civilisations avaient leurs réponses, celles de créer des ruptures de niveaux, en pratiquant des rituels :

- Orgiaques pour les sociétés gréco-romaines :
Philippe Camby nous parle dans L'Erotisme et le sacré de : "L'excitation sexuelle frénétique à laquelle les orgies donnaient lieu avait un sens. Il s'agissait, à travers l'excès, de stimuler la fertilité générale et de dépasser la condition humaine."
Mircea Eliade nous dit : "Toute création implique surabondance de réalité, autrement dit, irruption du sacré dans le monde".
Et Jack Kerouac :  "En un sens, chaque moment de débauche est une insurrection privée de brève durée contre les conditions statiques de la société. Le sexe, bien sûr, est le symbole universel de la vie..."

- Sacrificatoires pour les sociétés méso-américaines, guerriers chez les Indiens d'Amériques du Nord, cannibales pour d'autres sociétés :
En particulier chez les Indiens de la Terre du Brésil, pour les conflits guerrier se terminants en scènes de cannibalisme chez les Tupinamba et les Margajas. Levi-Strauss nous parle de "sur-réalité" dans son introduction du livre de Jean de Léry, écrit en 1578 : "La lecture de Jean de Léry m'aide à m'échapper de mon siècle, à reprendre contact avec ce que j'appellerai une "sur-réalité" - qui n'est pas celle dont parlent les surréalistes : une réalité plus réelle encore que celle dont j'ai été le témoin."

- Méditatifs pour les Bouddhistes, etc.
Jung dans son Commentaire sur le Mystère de la fleur d'Or, vieux traité alchimique taoïste, parlant du vide, de l'image et de la vitalité : "Tout ce dont nous sommes conscients est image, et que l'image est âme." - "La lumière de la conscience se prépare à se détacher des puissances vitales pour entrer dans l'unité ultime et indivise, dans le centre du vide"  ainsi que  "Dieu habite dans le vide et la vitalité les plus extrêmes".

Mon travail devait donc developper les thèmes suivants afin de pouvoir avoir un effet guérisseur et envoûtant sur mon public et sur moi-même :
- Créer une rupture de niveau en utilisant des images orgiaques, choquantes et surabondantes : corps féminins en transes sexuelles et parfois liés dans des poses érotiques fulgurantes, présentations de sexes en actions tant masculins que féminins, mélanger et brouiller des images avec des textes obscènes, réservés habituellement à la sphère intime et privée pour créer une confusion de lecture et détruire  ainsi les idées esthétiques culturelles acquises et acceptées.
- Créer une esthétique visuelle hors norme, à la fois monumentale et fragmentée en divers modules ayant chacun son énergie propre pour échapper à la domination intellectuelle hiérarchisant les choses, les pensées et les individus. Pour cela je me suis largement inspiré des codes d'arrangement sociaux entre les individus des sociétés anarcho-communautaires, décrits chez beaucoup de tribus Indiennes et en particulier chez les Inuits par Jean Malaurie. Il me fallait donc casser les miroirs socio-hiérarchiques au travers d'une structure construite, organisée et architecturée de manière uniforme et égalitaire, ayant un contenu iconographique protéiforme, dominant ainsi le chaos et la violence de la vie par l'assemblage de carrés aux formats similaires, placés dans une grille structurelle invariable, comme dans une espèce de patchwork madalique.
Pour faire simple : j'assemblais des carrés de Plexiglas les uns à coté des autres pour remplir jusqu'à ras-bords les espaces des murs du lieu d'exposition !
- Trouver l'unité pour échapper à toute dualité conflictuelle en mélangeant dans une même peinture : des scènes sexuelles, des dessins provenant d'artefacts et de schémas de pensée de civilisations chronologiquement différentes, comme des yantras méditatifs hindous et des patterns génétiques océaniens, y incorporer également les traces de notre modernité en travaillant avec nos outils de communication et de diffusion contemporains, l'internet, les logiciels de design etc...
- Emprunter les armes de l'ennemi comme le fît le fameux stratège Chinois Zhuge Liang Dragon accroupi qui lors de la bataille de la Falaise Rouge prit les flèches à son ennemi de la façon suivante : "Les 10.000 archers de Cao Cao, le général de Wei, tirèrent en direction de la rivière. Bientôt les figurines de paille sur les bateaux furent remplies de flèches. Zhuge Liang ordonna que les bateaux soient retournés afin que les figurines de paille de l’autre côté reçoivent aussi les flèches des soldats de Wei. Peu après, toutes les figurines de paille étaient remplies de flèches."
En effet, la société d'hyper-consommation nous inonde d'images pornographiques grâce à un business qui atteint 1000 milliards de dollars de chiffre d'affaire annuel, plus que les industries de l’armement et de la pharmacie ! Tout cela en exploitant systématiquement le corps de façon parfois esclavagiste et humiliante. Je récupère donc gratuitement ces images populaires trash et les renvoie dans le circuit de diffusion de l'image chargées d'une énergie positive et artistique, tout en forçant également le public à s'interroger sur sa propre pratique de consommateur.
- Essayer de ne pas perdre trop d'énergie en s'opposant frontalement à un système qui de toute manière nous détruira, essayer plutôt d'être dans les marges, voir ailleurs, grâce à la spiritualité et la connaissance d'autres moyens de partager et d'échanger.
- Travailler avec les métamorphoses, humain-animaux et les échanges d'énergies ressenties lors des transes chamaniques. Réintégrer une dimension magico-cosmique avec des formes et des couleurs inusitées.
- Réenchanter le monde, l'inconscient collectif et réactiver l'imaginaire des contemporains qui ont été complètement vidés, comme lobotomisés pour être remplis violemment par le désir de biens de consommations surnuméraires et inutiles.
Malgré toutes ces lignes directrices, il y avait cependant quelque chose qui me manquait. Puis, un soir, je suis allé à un vernissage Uptown près de Columbia University, où une amie, Anne-Marie avait une exposition de photos et j'ai sympathisé avec cette femme que j'avais aperçu au travers de la foule près d'une fenêtre à l'autre bout de la galerie d'exposition. Je suis allé lui parler et lui ai dit qu'elle dégageait une belle énergie, elle m'a alors répondu qu'elle était originaire de la Côte Ouest et de descendance indienne. Nous avons un peu discuté, je lui ai décrit  mon travail sur le chamanisme et les Mayas et lui ai donné ma carte de visite, quelques jours plus tard je recevais de sa part une carte postale avec la prière des Navajos :

With beauty may I walk.
With beauty before me, may I walk.
With beauty behind me, may I walk.
With beauty above me, may I walk.
With beauty below me, may I walk.
With beauty all around me, may I walk.
In old age wandering on a trail of beauty, lively, may I walk.
In old age wandering on a trail of beauty, living again, may I walk.
It is finished in beauty.
It is finished in beauty.

Je n'ai jamais revu cette amie, mais je la remercie profondément pour ce superbe chant de prière. Que peut-on opposer à la barbarie sinon la beauté ? Il est également vrai que la chose la plus universelle, au delà de tous les rituels, qui sont finalement propres à chaque époque et qui deviennent rapidement désuets, au-delà de chaque tradition religieuse et de chaque culture, la chose la plus persistante, la plus universelle, la plus pérenne et transcendante; des peintres de Lascaux à Picasso, est sans doute : LA BEAUTÉ !

 

 

 
Après l'attentat, j'ai donc repris mon travail un peu douteux, un peu tremblant, avec une série de sérigraphies sur papier intitulée : Beauty is Energy, dont les deux images protagonistes principales étaient la statue Égyptienne du Louvre La Porteuse d'offrandes et L'Écorché. La statue égyptienne représente une magicienne, une Vestale guérisseuse, au corps de femme sexué et élancé qui apaisait la violence et déposait des offrandes pour accompagner le voyage de l'âme des morts dans l'au-delà, un peu comme les quatre entités féminines lumineuses (rouge, jaune, bleu, noire) qui m'étaient apparues lors d'une transe, et en opposition à cette statue de grâce féminine, L'Écorché, statue Aztèque masculine dans un état de violence absolue, qui est à l'American Museum of Natural History de New York. Cette terracota rouge de taille humaine dégage une violence d'une énergie et d'une cruauté insurpassables ! Quand on sait son histoire, on comprend pourquoi : c'est l'incarnation de Xipe Totec, qui dans la mythologie Aztèque, est le dieu du renouveau de la nature, de l'agriculture et de la pluie. Bernardino de Sahagun en fait la description suivante : "Lors de la fête de Tlacaxipeualiliztli, ou écorchement d'hommes, ils étaient tous revêtus de peaux d'hommes qu'on avait sacrifiés et écorchés pendant la fête; ces peaux étaient fraîches et dégouttaient de sang..." - "Le sacrifice consiste à arracher le cœur du sacrifié (qui a vécu comme un prince pendant l'année qui précède le sacrifice), drogué aux champignons hallucinogènes pour ne pas se rendre compte de ce qui lui arrive, puis à retirer sa peau. Le prêtre la portera sur lui pendant un mois."
Ces rituels d'appropriation de l'énergie de l'autre, au travers des époques historiques successives est une pratique assez commune, mais la violence de cette statue ne ment pas : elle est l'incarnation même de la violence dans la pratique culturelle et de la vie dans sa globalité. La vie qui ne se nourrit que de la vie, dans ses cycles de perpétuations trop irrationnels à appréhender pour notre petit entendement humain et à notre échelle cosmique. À méditer sur ce petit extrait de D. Carrasco in City of sacrifice : "Ce qui est l'âme et le cœur secret du sacré, si ce n'est pas la culture humaine, c'est peut-être la violence ?" Mais fallait-il répondre à la violence en dénonçant la violence ? Quid de la musique de Mozart ?

 

 

NEW YORK II / RENCONTRES / LES GALERIES / LES MUSÉES

A la fin des années 1990, avec le déménagement des galeries du quartier de SOHO au quartier de Chelsea, aux espaces d'exposition gigantesques, il y eut comme une rupture ! Le passage d'un art à dimension  humaine, comme dans un village où tout le monde se connaissait et s'appréciait, à un art industriel, monumentale, globalisé,ostentatoire, totalement vide de contenu et de sens, mais cependant imposant parfois de par sa facture, la complexité de sa réalisation et surtout le prix auquel il est vendu ! C'est ce qu'on appelle communément aux US : Corporate art ! Cet art qui inonde aujourd'hui les espaces de toutes les grosses galeries mondiales, de toutes les grandes foires d'art contemporain ainsi que toutes les salles des ventes et même tous les musées d'art contemporain ! C'est l'inondation mondialisée du principe du business, du plus c'est stupide et plus ça se vendra !
Les jeunes curateurs et galeristes ont plutôt aujourd'hui l'apparence de VIP et l'attitude méprisante des traders de Wall Street, que celle d'un quelconque humaniste appréciant l'art pour sa valeur intrinsèque. Beaucoup d'anecdotes à ce sujet pourraient être racontées, je n'en citerai que quelques unes.

 

Expériences négatives

- Whitney Biennial, 1997 : j'ai parcouru l'exposition en regardant toutes les œuvres avec attention et la seule œuvre au travers de laquelle je pouvais sentir une émotion et une humanité se dégager, était l'œuvre d'Ilya et Emilia Kabakov, ils avaient reproduit des salles d'enfermement d'un asile Russe, il se dégageait de cette installation une grande tendresse pour les fous qui y avaient été enfermés, un statement politique et une grandeur d'âme. Le reste du travail des artistes, qui étaient pour la plupart affiliés à de grandes galeries New Yorkaises, était totalement, non seulement inintéressant, mais énergivore. Je suis sorti de là et me suis assis sur le muret du Whitney, en face de moi était une sculpture en plastique d'un immense camion de pompier de grandeur nature réalisée par une autre artiste américain démiurge ! J'avais vraiment la nausée et honte de voir autant d'artistes travaillant avec de gros moyens financiers, ayant la chance de pouvoir exposer leur travail dans des conditions incroyables et ne penser qu'à développer leur ego et faire parler d'eux ! - "Disney world quand tu nous tiens !" Cette expérience n'est pas propre à New York, on la ressent aussi à la Documenta et à de nombreuses rencontres artistiques internationales. Je crois malgré tout que la pire situation est sans doute en France, où les artistes célèbres ne célèbrent que l'ironie de Duchamps. Mais combien de moulages d'urinoirs et de baignoires n'ai-je pas vus aussi dans les galeries de Chelsea ? Historiquement il faut regarder ce que Jasper Johns a fait du concept de Duchamp, il a pris un drapeau américain, symbole de la nation et en a fait une peinture qui a une présence et une esthétique propre, même chose pour Rauschenberg, Warhol ou Lichtenstein... ! Le seul bémol que j'aurais par rapport au travail des artistes pop américains, c'est que parfois, ils ne transcendent pas leurs sujets, et leurs œuvres manquent d'ironie, de présence et de grandeur.

- Deuxième expérience négative, horrible, innommable, indescriptible, qui m'a profondément marqué et que j'ai presque honte de raconter. Mais, je crois qu'elle est significative dans son attitude provocatrice et peut faire comprendre à quel point l'art a perdu toute raison d'être :
Le jeudi du 13 septembre 2001, le vernissage d'une exposition intitulée : "Mayday/Mayday" était programmée au Swiss Institute de New York ! L'idée géniale des artistes était de montrer l'angoisse d'un pilote d'avion quand ses commandes ne répondent plus ! Une semaine plus tard, avec tout ce qui s'était passé à New York, avec de la fumée partout, des gens pleurant leurs morts et d'autres postant des photos de leurs chers disparus, des carcasses de camions de pompiers pliés comme des boites de sardines, l'armée juste à coté sur Canal street avec interdiction d'entrer dans la zone du sud de Manhattan ! He bien, croyez-moi si vous le pouvez, mais le fier commissaire d'exposition a, malgré toutes ces sérieuses avanies de malheurs et de milliers de morts, décidé pour démontrer la grande et incroyable synchronicité entre l'art et la vie (ces artistes étaient des génies d'avoir pu percevoir intuitivement un tel événement);  de réaliser cette exposition, en changeant toutefois un peu le thème : ce ne serait plus un avion qui s'écraserait, mais une motocyclette ! Résultat, la galerie était jonchée de pièces mécaniques de ferrailles, d'huile et de ruines, ça ne changeait guère du paysage dramatique environnant ! Quelque part, je me suis dit en moi-même, que quelque chose était cassé dans la pratique de l'art contemporain. Peut-on imaginer un moment ces artistes suisses, qui étaient à New York lors de l'attentat, revenir à la galerie, ramasser tous les débris de l'avion qu'ils avaient préalablement démonté, jeter ces débris dans les rues au chaos absolu d'un Manhattan exsangue, acheter une moto et la démonter pièce par pièce, juste dans l'espoir de devenir un jour célèbre et puissants ? J'étais présent à ce vernissage avec mon ami Miguel, qui avait échappé de justesse à l'attentat, et j'ai vu dans ses yeux comme dans les miens des larmes d'émotion ! Les barbares avaient gagné jusque dans le tréfonds de la conscience de l'âme humaine ! Si d'aventure, j'avais été un de ces artistes, j'aurais juste simplement rempli cette galerie de fleurs et fermé ma gueule ! Cette exposition a malgré tout porté chance au commissaire d'exposition, puisque grâce à son immense courage et à son intelligence fulgurante, il devint par la suite le directeur d'un grand musée parisien !

 

Expériences positives

Heureusement tout n'est pas si grave et j'ai souvent exposé à New York, dans des endroits divers. La première expo de groupe fût avec le BWAC (Brooklyn Water Front Artist Coalition), à Red Hook, dans des immenses bâtiments au bord de l'eau qui servaient autrefois d'entrepôts à épices et dont l'odeur était encore très prégnante. Mon ami et voisin Balbino, emmena avec son pick-up une grande peinture de Montréal, l'ambiance était bien sympathique et le lieu magique. 

J'ai participé à beaucoup d'autres expositions de groupe et un jour un ami m'a demandé si je voulais exposer au Consulat Français, car il ne souhaitait pas le faire, je lui ai dit oui ! On a donc organisé avec la secrétaire du Consulat, une expo dans leurs locaux. Par la suite David Blake, le directeur de l'Alliance Française, ayant découvert mon travail m'a également proposé d'accrocher à L'Alliance. J'ai alors réalisé spécialement pour le lieu : Suspended Time, deux grandes installations murales de peintures sur Plexiglas, un ensemble faisant 1,40 mètres de hauteur par 5,60 mètres de longueur et l'autre un carré de 2,45 mètres de coté.
J'ai également réalisé une grande installation murale spécifique Mayan Diary, 2,80 x 4,10 mètres pour le Taller Boricua, un centre culturel portoricain à Est Harlem, où les commissaires d'exposition sont des amis. C'est un centre très dynamique et les vernissages sont toujours super sympa : les jeudi il y aussi les soirées salsa. Lors de cette exposition, un jeune artiste Afro-américain est venu me parler pour me dire qu'il était resté quatre heures devant mon installation pour comprendre comment ça avait été fait ! J'ai été très honorer de son compliment ! L'ambiance au Taller est toujours très sympa et je retourne à leurs vernissages dès que je reviens à New York. J'ai également travaillé avec la galerie Opéra de Soho,  avec son directeur Eric Allouche qui est un ami et qui m'a souvent aidé financièrement dans les temps difficiles, tout en me disant : - "Quand tu seras connu mondialement, n'oublie pas de dire que je t'ai aidé !" Je n'oublie pas Eric, merci pour tes généreux coups de main, ça ne m'arrive plus jamais en France !
J'ai aussi travaillé avec la galerie 138, qui avait loué un superbe espace à Chelsea pour son exposition Desire + The Hurricane où j'y ai présenté une installation spécifique de 3,30 x 4,40 mètres.
Il serait beaucoup trop long d'énumérer toutes mes expositions new-yorkaises, aussi parlons plutôt maintenant des Indiens, qui m'ont beaucoup appris.

 

 

New York III / LES INDIENS D'AMÉRIQUE DU NORD / RENCONTRES / REVELATIONS COSMIQUES

Malheureusement, je n'ai pu découvrir la culture nord-amérindienne que grâce aux expositions et aux nombreux livres de témoignages que j'ai lu à propos de leurs cultures. Malgré leurs innombrables diversité culturelles, il y a une espèce de tronc commun des racines qui relient tous leurs rituels grâce à l'art qu'ils ont créé :
- Un grand sens du sacré et une grande religiosité.
- Le pouvoir d'utiliser la beauté comme moyen de communication avec le divin, au travers des vêtements, des masques, des danses et des chants, qui décrivent des mythologies fantastiques.
- La fierté d'appartenir aux groupes sociaux des Villages, des Tribus ou des Nations.
- La volonté de pouvoir vivre en harmonie avec son environnement naturel et de le respecter religieusement.

mocassins IndiensGeorge Catlin, tombes Mandansac Indien 

Je parlerai ici de quelques œuvres et de quelques lectures qui m'ont influencé à New York :
- Une exposition : First American Art, où presque toutes les œuvres montrées dans cette exposition étaient des "chefs-d'œuvres" d'une beauté surpuissante aux dessins géométriques que l'on pourrait qualifier de contemporains et aux harmonies colorées, réalisées par des peintures ou des billes de verre brodées; douces, sereines et magiques à la fois. Etait-ce l'œil du collectionneur qui avait su choisir les plus belles pièces, ou les pièces des Indiens avaient-elles toutes ce degré d'abstraction symbolique, de beauté et de pureté infinie ? Il y a une citation qui pourrait répondre à cette interrogation, c'est une question posée par une journaliste américaine à une femme maya qui brodait une tunique : - "Le tissage de votre dessin est tellement intriqué, enchevêtré et complexe que personne ne pourra jamais ni le voir, ni le déchiffrer, ni le comprendre ?" La tisseuse Maya lui répondit simplement : "- Oui, mais Dieu peut le voir!" Je crois que c'est l'unique réponse appropriée à cette question. Les Indiens œuvraient pour le Wakan Tanka des Sioux, le Grand Manitou des Algonquins ou pour quelques esprits tricksters comme le Coyote ou le Corbeau... Leur "art" créait et tissait non seulement des liens entre les êtres humains, mais ouvrait également le portail vers les infra-mondes, au travers des liens cosmiques jusqu'à l'âme-force de l'univers. Et nous n'appartiendrons, ni ne comprendrons, ni ne participerons malheureusement plus jamais aux rituels utilisant ces langages ésotériques hautement sacrés ! Ce n'est pas simplement la disparition de ces rituels (parfois superstitieux, parfois grotesques, parfois trop théâtraux) qui est dommageable, mais, de façon induite, la disparition des liens crées entre les individus lors de la pratique de ces rituels : le faire ensemble, l'abandon de l'ego pour se mettre au service de la communauté, le partage d'une émotion commune, l'échange et la transmission des savoirs et des connaissances aux jeunes générations, le sentiment d'appartenance et de créer quelque chose d'utile. Ultimement, la disparition des pratiques rituelles provoqua malheureusement, presque systématiquement et fondamentalement, la disparition et l'annihilation de ce que l'occident appelle tout simplement la CULTURE !

- Les livres : l'émouvant témoignage de Black Elk, dans Black Elk speak, un chef Sioux qui participa à la bataille de Little Big Horn et voyagea ensuite en Europe avec Buffalo Bill. Ses descriptions des rituels initiatiques sacrés Sioux dont la Sundance, lors du passage à l'âge adulte et ses visions chamaniques des quatre directions lors de sa rencontre avec la White Buffalo Woman, nous font ressentir un fort moment de vérité et d'émotion. A la fin de sa vie désespéré de n'avoir rien pu faire de plus pour sa nation et pleurant l'arbre sacré il dit :

- Ecoute, une voix sacrée t'appelle, dans le ciel entier, une voix sacrée t'appelle.
- Et moi, à qui ont été données de si grandes visions dans ma jeunesse, je suis maintenant un vieillard pitoyable qui n'ai rien pu faire, car l'espoir de la nation est éparse et perdu. Il n'y a plus de centre, et l'arbre sacré est mort !

C'est un grand chef spirituel, qui parle avec fierté de ses visions (trop personnelles et sacrées pour en parler ici), de son voyage spirituel quand il fut très malade en Europe et qui revint en esprit jusque dans sa tribu, pour retourner ensuite dans son corps et guérir. Il décrit le monde diffèrent et heureux qu'il connut lors de sa jeunesse, avant que les Indiens ne soient exterminés, spoliés de leur biens et placés dans des réserves.

- Un autre livre très intéressant est celui de George Catlin, North American Indians, un peintre américain du 19ème siècle, qui accompagna le capitaine Clark sur le Mississippi en territoires indiens. Il visita plusieurs tribus tout en peignant et faisant des croquis de scènes de rituels et de la vie quotidienne, mais surtout en décrivant précisément, dans son journal composé de lettres et de notes, ses aventures et les événements auxquels il eut la chance d'assister. Il aventures et les événements auxquels il eut la chance d'assister. Il peignit beaucoup de scènes de chasse aux bisons et les fameuses scènes d'autosacrifices initiatiques lors de la Sundance chez les Lakotas :

George Catlin, La sundance chez les MandanOn sacrifiait alors un bison. Sa tête avec la peau du corps entier étaitattachée tout en haut du mât. La tête de bison était tournée à l'est, vers le soleil levant et une structure était construite autour de l’arbre par le danseur principal et les hommes de son clan. Le mât représentait le centre du monde ou le Grand esprit (Wakan Tanka) et reliait symboliquement le ciel à la terre. Autour de ce poteau central, à environ vingt cinq mètres, vingt-huit autres sont plantés en cercle, figurant les vingt-huit jours du cycle lunaire et correspondant aux vingt huit côtes du bison. Des perches étaient fixées à leurs cimes puis reliées au mât central. La fourche du mât représentait le nid d'un aigle, un des animaux sacrés des indiens, parce qu'il peut voler très haut et que c'est l'oiseau qui se rapproche le plus du soleil. C'est pour cela qu'il est le lien entre l'Homme et le Ciel, le messager qui porte les prières des hommes jusqu'à Dieu (Wakan Tanka). L'aigle facilite la communication avec les Esprits pendant la Danse du Soleil. Les plumes de l'aigle ont aussi une vertu curative, ainsi le chaman va toucher l'arbre-mât avec une plume d'aigle qu'il va ensuite appliquer sur le corps d'un malade, transférant ainsi l'énergie du mât au malade. Les sifflets en os d'aigle dont on joue durant les danses sont censés évoquer la voix de Wakan Tanka, tandis que les tambours qui les accompagnent sont le "souffle palpitant de l'univers".

Ce texte n'est pas une traduction exacte de la description de Catlin, mais il montre bien l'organisation du rituel, les geste protocolaires et les symboles : tout est signifiant et les gestes doivent être respectés dans un ordre liturgique sacré.

Certains activistes Indiens contemporains critiquent les interprétations et les descriptions qu'a donné Catlin des rituels, mais je pense qu'à l'époque, personne n'avait vraiment les clefs pour pouvoir comprendre pleinement ces actes religieux, et au moins nous en avons aujourd'hui un témoignage écrit ! J'ai utilisé un de ses dessins pour m'inspirer de la façon dont la tribu des plaines, les Mandan, organisaient les sépultures de leurs morts : ils laissaient le corps du défunt se dessécher aux intempéries sur un échafaudage et au bout de quelques années, quand les os étaient réduits en poussière et qu'il ne restait plus que le crâne, celui-ci était alors placé autour d'un cercle, dont chaque individu formait un point égal et qui représentait l'âme sacrée de la Tribu. Il décrit aussi quelques passages comiques, surtout quand il décida de peindre le portrait du chef Sioux Mah-to-chee-ga (Petit Ours) de profil et que ses congénères se raillèrent de l'artiste et du chef, parce qu'il lui manquait de fait la moitié de sa personne et qu'il était seulement un demi-homme ! :

Toute la tribu me considéra comme un "bon à rien". C'est la dernière peinture que j'ai peinte chez les Sioux, et la dernière assurément que je peindrais dans cette région ! Tellement énorme et alarmante avait été leur réaction à ce sujet, qu'on emballa au plus vite et dans la peur tous mes pinceaux et que j'embarquais dès le lendemain sur un bateau à vapeur pour les sources du Missouri, très soulagé d'en être sorti vivant !

- Une anecdote Indienne : grâce à une amie, j'eus la chance d'exposer lors de foires d'art contemporain dans deux des plus grands hôtels de NY, le Plaza et le St Regis. Au St Regis mon stand était placé à coté des artistes de la Nation Crow venant du Montana et nous avons sympathisé. Les femmes artistes portaient leurs robes traditionnelles de peau de daim auxquelles elles ajoutaient tout au long de leur vie les incisives d'élans, ce qui fait que la mère portait une robe lourde, remplie de haut en bas et sa fille, elle, ne portait des dents que sur le haut de sa robe, elle avait toute la vie devant elle pour finir son œuvre. Je suis devenu ami avec des artistes, dont un était le chef de la tribu et s'appelait Lelan et il élevait des chevaux, en parallèle de ça, il peignait des aquarelles représentant des guerriers des plaines sur leur chevaux en habit de guerre. Nous avons discuté de l'élevage de chevaux, il avait des Quater Horses, qu'il laissait en liberté dans les montagnes et nous avons fait l'échange d'une œuvre d'art. Son voisin, aquarelliste également, peignait ces mêmes scènes bucoliques, mais il avait quelques petits collages photographiques dans un coin de son stand, on a décidé alors d'échanger chacun une œuvre et lui ai dit laquelle je voulais ! Il répondit qu'il était d'accord, mais qu'il souhaitait attendre la fin de la foire pour faire l'échange, on était dimanche après-midi ! Ça se passait bien, il y avait un peu de monde et soudainement est arrivé un américain de grosse corpulence, d'apparence un peu négligée, il s'arrêta devant son stand et lui acheta immédiatement l'œuvre que j'avais voulu lui échanger ! Il vint tout étonné vers moi, à la fois surpris, sidéré, médusé et un peu subjugué et me dit : - "Tu savais que j'allais la vendre, comment as-tu fait ? - il savait !" Dit-il à Lelan - "C'est pas possible !" Il pensais sans doute que j'avais des pouvoirs de divination ! Il était gentiment furieux que nous n'ayons pas pu faire cet échange modeste ! J'aime ce rapport aux choses, en fait le collage qu'il avait vendu parlait de sa vie et de ses angoisses, un peu comme un Retablo mexicain, alors que ses aquarelles n'étaient juste que de l'artisanat d'art, et n'avaient pas la même présence ! On a bien rigolé lors de cette foire et en se séparant il me dit à propos de la sérigraphie qu'il aurait voulu (la femme Égyptienne), et qu'il m'avait dit vouloir reproduire et copier dans ses aquarelles futures : "French are so romantic !"

 

 

NEW YORK V / LE PRIX A PAYER / SOLIDARITÉ / LE DÉPART

Voici pour les anecdotes avec mes amis Crow, mais revenons à mon travail. J'ai réalisé une grande peinture Indian Names, de 2,40 mètres de côté pour une exposition de groupe avec des amis français dans une galerie de Soho. J'y énumérais le nom de chefs Indiens (Cochise, Geronimo, Montezuma, Cuauhtemoc, White Bull..) qui étaient connus pour leur sagesse mais également pour leur insoumission devant la colonisation, l'extermination et la volonté des puissances Européennes et Américaines de leur imposer un mode de vie sédentaire et agraire qu'ils n'avaient nullement choisi. Voici joint un petit extrait du livre Les quatre soleils de Jacques Soustelle parlant des ces conflits :

C'étaient eux que les Aztèques qualifiaient de Chichimeca, "Barbares", et qui erraient à travers les steppes à cactus et les prairies, chassant, déterrant des racines, cueillant Ie fruit du mizquitl pour Ie piler et en faire une sorte de farine : tribus guerrières, armées de l'arc, monogames, adorant Ie Soleil et les étoiles. Ces Chichimèques ont pesé pendant des siècles sur la frontière nord des empires civilisés et les ont envahis chaque fois que ceux-ci ont donné des signes d'affaiblissement, à la façon des Germains et des Slaves aux limites de la Romanie ou des Mongols à celles de la Chine. La plupart d'entre eux, quand ils ont pénétré dans l'aire d'influence des civilisations, en ont assimilé très rapidement les formes et les coutumes ; pourtant, certains éprouvèrent une répugnance invincible à adopter la vie paysanne, à tel point qu'au XIVème  siècle une partie de la tribu chichimèque qui s'était établie dans la vallée de Mexico refusa net d'obéir au roi Quinatzin et de pratiquer l'agriculture. Ces chasseurs réfractaires préférèrent émigrer vers les montagnes pour y vivre selon leurs traditions.

On a l'impression que tout autour du monde et au cours de toute l'histoire, ce furent toujours des combats incessants entre les peuples nomades et les agriculteurs sédentaires, on en vient à se demander si l'institution politico-relieuse n'a pas développé cette idée de paradis terrestre pour finalement pallier à ce manque évident de liberté d'action, de pensée et de mouvement ? C'est peut-être le début institutionnalisé de la violence, car lorsque vos pieds sont liés de façon terminale à la terre qui vous appartient ou que vous cultivez,  qu'espérer sauf une bonne récolte et pour cela sacrifier ce que vous avez de plus cher ? Des réflexions intéressantes parcourent, à propos des affrontements entre la pensée nomade et la pensée sédentaire, toute l'œuvre de Bruce Chatwin, cet éternel voyageur, mais en particulier Le chant des pistes, où il nous raconte ses pérégrinations australiennes auprès des aborigènes. Mais j'en parlerai plus longuement dans mon chapitre consacré à mes influences littéraires. Un autre livre à lire absolument est la Très brève relation de la destruction des Indes de Bartolomé de las Casas, frère Dominicain, qui dénonça violemment les crimes commis par ses compatriotes, envers les peuples autochtones, et il nous raconte comment, pendant seulement trois ans, les conquistadores Espagnols tuèrent plus de trois millions d'Indiens, au sabre, au feu et au pistolet, entre les Iles Caraïbes, le Mexique et le Guatemala. Difficile de continuer à avoir l'esprit serein quand on apprend de telles atrocités, je ne parle même pas ici du vingtième siècle, qui fût le plus meurtrier de l'histoire humaine. J'essayai tant bien que mal de parler de toutes ces choses qui me révoltaient, mais également de tout ce que je trouvais d'intéressant et de merveilleux dans les diverses cultures humaines. Bien que mon travail ait été souvent exposé dans beaucoup de galeries, il faut reconnaître qu'il était très difficile à vendre, car les gens ne sont pas prêts à entendre ce que je leur disais, comme le déclamait si fort Antonin Artaud : "Vous êtes sortis de la vie !" J'ai de plus en plus l'impression que mes contemporains n'y sont jamais entrés, ni dans la vie, ni dans le bonheur, la simplicité, la générosité et l'amour ! Il n'y a qu'à regarder les portraits de bébés peints par Egon Shiele pour s'en convaincre, à peine arrivés au monde les enfants ont déjà des gueules de moribonds ! L'Occident est vraiment exclusivement verrouillé sur le mode de pensée unique de nourrir notre instinct de mort, dont Freud nous parle si bien dans son livre Malaise dans la civilisation. Alors quoi faire ? Faire de l'art ne fait de mal à personne et me fait du bien à moi-même, donc il faut continuer malgré tout !


En été 2003, je suis retourné pour les vacances en France et j'ai dû être hospitalisé à cause de la canicule, j'avais un problème de santé qui s'était aggravé et je ne pouvais plus rester à New York, où il aurait été très difficile de me faire soigner ! Il fallait changer de vie une fois encore, mais mon départ fût vraiment accompagné avec beaucoup d'attention et de tendresse par tous mes amis et collègues new-yorkais. D'abord, je fîs une ouverture de l'atelier pendant deux week-ends et beaucoup d'amis passèrent me voir et m'achetèrent, qui une petite sérigraphie, un autre un grand format sur papier, un autre ami un Plexiglas, et à la fin je pus payer tous mes frais de déménagement et avoir un peu d'argent d'avance. Jamais je n'oublierai cette solidarité et cette sollicitude typiquement new-yorkaise dont j'ai été l'attention, non seulement lors de mon départ, mais tout au cours des années vécues là-bas. Je pense que ce doit être dû au fait que nous étions tous des émigrés, venus comme moi, pour s'accomplir, trouver une destinée, se réaliser, nous avons tous fait l'expérience de grandes difficultés financières, affectives, de logements et je pense que nous nous entraidons de manière intuitive, intelligente et respectueuse. J'avais déjà vécu cela dans mon enfance à l'internat de Briançon où quelques fois j'étais tellement malade et à bout de souffle, qu'un ami devait me porter sur son dos et qu'un autre ami, devait me porter mon cartable pour m'emmener de la salle d'étude à la salle de cours ou au réfectoire. Eh oui, la vie est faite d'entraides et de soutiens. Quelle fût ma surprise quand je me suis retrouvé à Besançon où l'individualisme règne en roi !
Mais passons au déménagement : il fallut donc emballer toutes les œuvres de l'atelier et mes amis Pierre, Olga, Mariana et Karine me donnèrent un gros coup de main pour que tout soit prêt à temps. Quand tout fût emballé Mariana fit une grande réception dans son loft-garage de Long Island City pour fêter mon départ ! Et de voir le visage de tous et de tant d'amis souriants et confiants, me souhaitant bonne chance, me fît le plus grand bien avant de partir vers l'inconnu.
Le jour prévu, l'équipe de déménageurs vint pour charger le container de vingt pieds, qui était déposé dans la rue en bas, mais comme j'étais au deuxième étage, ils refusèrent de descendre mes grosses caisses en bois remplies de Plexiglas, de livres et d'art mexicain (masques, statues), car elles pesaient pour certaines plusieurs centaines de kilos. Ils appelèrent alors leur patron qui vint à l'atelier et les raisonna, la descente des caisses pût alors commencer. Ça leur prit quelques heures, mais il y avait toujours une caisse qui était trop lourde et qu'ils ne pouvaient pas monter dans le container ! Heureusement mon propriétaire, qui avait un business en bas, avait un tire palette et ils purent enfin mettre cette caisse à l'intérieur, fermer et plomber le container qui partirait au travers de l'océan : - Je te salue, vieil océan ! - pour le Havre. Mes adieux aux amis furent un peu difficiles, mais ce n'était pas si grave car je revins fréquemment les voir. Il était temps de partir pour une autre aventure singulière : rentrer dans mon pays et retrouver ma famille !

 

 

FRANCE / BESANÇON / 6ème RUPTURE / GRANDES EXPOSITIONS

Le container arriva un mois plus tard chez mes parents et on rangea toutes les caisses dans le garage avant que je puisse trouver à nouveau un atelier. Mon problème de santé fût assez vite résolu, grâce au dynamisme et à l'incroyable compétence de toutes les équipes médicales qui m'ont pris en charge. Je dois dire ici combien je leur dois, les remercie et je pense très souvent à eux ainsi qu'à l'équipe médicale New Yorkaise. Je retournais fréquemment voir mes amis à New York, tout en cherchant un atelier dans la région de Franche-Comté et puis mon dévolu se posa sur cet atelier au 11 avenue de la Gare d'Eau à Besançon. Entre les ennuis de santé et la réalisation des rénovations nécessaires pour transformer un espace industriel en loft, ça me prit près d'une année pour y enménager. J'ouvris mon atelier pour la première fois au public en juin 2006, il y eut du monde, mais malheureusement, je n'y ai rien vendu et je compris alors, que ma vie d'artiste professionnel à Besançon serait semée d'embûches au travers d'un parcours beaucoup plus difficile et chaotique financièrement que je ne l'avais jusqu'alors imaginé. Je parlerai des difficultés et des incohérences intrinsèques au marché de l'art français et de sa diffusion dans un autre texte, car ce n'est pas mon propos, mais beaucoup de choses pertinentes seraient à dire et à entendre à ce sujet. 


Je recommençais, tremblant, heureux et fier d'avoir survécu à tant de bouleversements et de pouvoir enfin me remettre à travailler sur une série de travaux sur papier les Sky Umbilicus ! Ils retracent les voyages de l'âme dans les entre-mondes (Vie-Mort-Vie), dans les états de conscience intermédiaire se référant à l'état de Bardo de la tradition Bouddhiste. L'Iconographie provenait de dessins de kimonos japonais, de dessins génétiques océaniens et de rituels de passage précolombiens : comme cette déesse Maya nue, ouvrant sa mantille pour accueillir généreusement un cerf en son sein, le cerf représentant ici l'âme du défunt . L'année suivante je recommençais la continuation de ma série sur Plexiglas des Mayan Diary, et les exposais dans plusieurs grands lieux d'expositions suivants.

En 2007, Didier Brunel me proposa d'accrocher Mayan Diary 18, une installation de trois mètres quinze de hauteur sur une longueur de six mètres trente, pour sa mise en scène au décor minimaliste de La Traviata de Giuseppe Verdi, à l'Opéra Théâtre de Besançon. Ce fût une expérience incroyable de poser les Plexiglas, sur la scène du théâtre, accrochés sur un immense panneau en contreplaqué, construit spécialement par les techniciens et ensuite de voir l'œuvre magistrale suspendue, flottante comme en lévitation dans l'espace vide et éclairée de manière magique. Pendant le spectacle, ce fût également fascinant de voir se déplacer tous les chanteurs et d'écouter l'orchestre jouant ces airs enlevés, c'était franchement un très bel hommage à la vie. Ce l'était de fait, car mon grand-père Maurice était décédé le dimanche avant que j'installe mes œuvres, et ce grand spectacle fût un peu comme un dernier témoignage de beauté et un au-revoir au grand homme de bien qu'il fût toujours envers moi. Cette lumière et ces couleurs serviraient à l'accompagner, à le guider et à lui remplir l'âme des bons souvenirs de la vie passée ensemble, pour son voyage solitaire dans l'au-delà. Car, comme disait si bien Chief Joseph de la tribu des Nez Percés, : -"Il n'y a pas de mort, seulement un changement de monde !"

En 2008, j'ai rencontré à l'atelier, Jean-François Longeot, le maire d'Ornans, qui me proposa immédiatement une exposition à la Salle des Iles Basses où j'installais Mayan Diary 24, une installation de trois mètres quinze de hauteur par huit mètres quarante de longueur. Ce fût une superbe exposition avec beaucoup de visiteurs et depuis lors, je garde toujours un lien solide et privilégié avec la ville d'Ornans, qui aime faire la promotion d'œuvres artistiques et qui aide beaucoup les artistes. À cette époque nous sommes allés, avec mon ami journaliste Jean-Luc Gantner, filmer l'exposition et sa superbe vidéo s'intitule : Insolation et Autres Puissances Symboliques.

En 2009, j'ai rencontré, grâce à Béatrice Suisse, qui était adjointe à la culture d'Ornans, Jean-François Gailloud le directeur de la foire d'art contemporain de Montreux. Lorsqu'il passa me voir à l'atelier, il me proposa immédiatement de créer un grand événement en construisant un mur sur lequel on pourrait accrocher une grande installation murale  faisant trois mètres quinze de hauteur sur une longueur de six mètres trente, ce qui fût réalisé. Je participais au "MAG 2009" de Montreux, avec encore une fois une énorme installation murale. Je dois remercier ici toute l'équipe du MAG avec laquelle, depuis, je travaille toujours régulièrement et avec grand plaisir.

En 2011, après avoir rencontré M. Michel Samuel-Weis, l'adjoint à la culture de la ville de Mulhouse et M. Joël Delaine, le conservateur du Musée des Beaux-Arts, nous avons organisé une superbe exposition monographique Mayan Diary, dans les sept salles de ce superbe hôtel particulier du XVIIème siècle. La grande installation murale principale faisait deux mètres dix de hauteur sur une longueur de dix mètres cinquante. Les techniciens firent un travail énorme pour que l'on puisse accrocher dans les meilleures conditions des œuvres d'une telle dimension et je tiens à remercier ici toute l'équipe du musée qui réalisa ce travail remarquable.

La dernière grande exposition muséale, fût cette année, en 2012, Nature, cultures, l'origine des mondes, à la Ferme Courbet de Flagey. Nous avons travaillé sur ce projet pendant longtemps avec Frédérique Thomas-Maurin, la directrice du Musée Courbet d'Ornans. L'œuvre, du même format que le panneau de Montreux, était largement inspirée des thèmes chers à Gustave Courbet : le nu féminin, l'érotisme, la Nature avec ses arbres et ses animaux. Cette exposition rencontra son public et il y eut beaucoup d'articles de presse et Lionel Georges, cinéaste du Conseil Général du Doubs y filma deux interviews :
- Le peintre et le philosophe I & II, une discussion avec Laurent Devèze, philosophe de formation dirigeant aujourd'hui l'Institut Supérieur des Beaux Arts de Besançon. Laurent est connu internationalement pour l'intérêt et le soutien qu'il porte à la nouvelle scène artistique contemporaine. Nous avons parlé, dans l'entretien, de la grande installation murale, de sa signification, des clefs de lecture nécessaires à sa compréhension et des autres œuvres présentées.
- L'Entretien avec Thierry Savatier, historien de l'art, spécialiste du XIXe siècle, auteur de L'origine du monde : histoire d’un tableau de Gustave Courbet. Dans cet entretien, nous avons parlé des liens et des références historiques entre le travail de Courbet et mes œuvres, à savoir le rapport au grand format - l'installation est à peu près de la même dimension que l'Enterrement à Ornans -, à la nature et à l'érotisation du corps de la femme.

Actuellement, je travaille sur une nouvelle série de peintures sur Plexiglas intitulée Suites Entropiques, qui est la continuation formelle de Mayan Diary, mais qui intègre une dimension érotique plus prégnante et peut-être plus violente et vitale. Ceci étant dû au fait que j'utilise comme inspiration de plus en plus d'images provenant des mangas japonais à connotation pornographique. La dimension spirituelle s'est également renforcée, grâce à l'utilisation de nombreux dessins de Yantras Hindous, qui sont comme autant de points d'ancrage géométriques et structurels au milieu de la débauche corporelle des corps féminins orgasmiques. L'ordre avec le chaos, la raison avec la folie, le lion avec l'agneau, l'organique avec le minéral, devant ainsi durant le processus de création, s'organiser et cohabiter dans mon œuvre, comme dans l'univers et la vie en général !

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