Influences V - Philosophie, littérature, cinéma
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INFLUENCES PHILOSOPHIQUES / LITTERAIRES / CINEMATOGRAPHIQUES
Et voici les fleurs célestes tombant en pluie tandis que la terre tremble ! — Siueh-teou
La littérature, le cinéma et la philosophie ont une très grande influence sur mon travail et je m'en nourris constamment. Je ne peux bien sur pas nommer ici tous les écrivains et cinéastes dont j'apprécie le travail et je citerai, peut-être non mes artistes favoris, quoi que ! mais en tous cas ceux qui ont le plus changé ma façon de voir le monde et de trouver ma liberté d'artiste créateur.
LES ÉCRIVAINS
Homère
Après L'épopée de Gilgamesh, un autre des premiers livres de l'histoire avec le Livre des Morts des Egyptiens, les chants homériques, écrit par le poète aveugle et qui serait à l'origine de traditions orales, nous emmène dans des mondes archaïques, où les destinées des hommes semblaient encore liées et intriquées à celles des animaux et des Dieux. Ce mélange d'êtres demi-dieux, demi-bêtes, nous interroge sur notre propre condition humaine et les enseignements appris par tous les Héros d'Homère nous montrent comment appréhender notre monde différemment. Ainsi en est-il de l'apprentissage sur la mort décrit par Anticléa à Ulisse :
Hélas ! Mon fils, le plus infortuné des êtres ! Non ! La fille de Zeus, Perséphone, n'a pas voulu te décevoir ! Mais, pour tous, quand la mort nous prend, voici la loi : les nerfs ne tiennent plus ni la chair ni les os ; tout cède à l'énergie de la brûlante flamme ; dès que l'âme a quitté les ossements blanchis, l'ombre prend sa volée et s'enfuit comme un songe... Mais déjà, vers le jour, que ton désir se hâte : retiens bien tout ceci pour le dire à ta femme, quand tu la reverras.
Ovide
Les Métamorphoses est une œuvre très importante car elle nous plonge directement au cœur de toute la mythologie gréco-romaine, on peut dire que c'est un peu avec l'œuvre d'Homère, les bases de toute la littérature occidentale. On en retrouve des influences directes dans les textes tout au long de l'histoire littéraire, en particulier dans Le Décaméron de Boccace, Les Comtes de Canterbury de Chaucer, jusqu'aux livres des écrivains du 19ème siècle.
C'est pour moi une source inépuisable pour mieux comprendre les mondes anciens, pré-chretiens, polythéistes et enchanteurs aux rêves puissants et aux métamorphoses magiques. Pour s'en imprégner, il suffit de réécouter Le Sacre du printemps d'Igor Stravinsky !
Ovide nous parle de l'ordre, de la culture et du chaos comme dans ce passage où Phaéthon arrive sur son char au palais du soleil où Phébus est assis sur un trône brillant d'émeraudes :
Phaéthon ne voit dans tout l'univers que des feux; il n'en peut plus longtemps soutenir la violence. Il ne sort de sa bouche qu'un souffle brûlant, semblable à la vapeur qui s'élève d'une fournaise ardente. Il voit son char qui commence à s'embraser. Il se sent étouffé par les cendres et par les étincelles qui volent et montent jusqu'à lui. Une épaisse et noire fumée l'enveloppe de toutes parts. Il ne distingue ni les lieux où il est, ni la route qu'il tient; et il se laisse emporterà l'ardeur effrénée de ses coursiers.
Il conte également la destinée et les désirs humains comme dans l'enlèvement de Perséphone par Hadès :
Non loin des murs d'Henna est un lac profond qu'on appelle Pergus. Jamais le Caÿstre ne vit autant de cygnes sur ses bords. Des arbres à l'épais feuillage couronnent le lac d'un berceau de verdure impénétrable aux rayons du soleil. La terre que baigne cette onde paisible est émaillée de fleurs. Là règnent, avec les Zéphyrs, l'ombre, la fraîcheur, un printemps éternel ; là, dans un bocage, jouait Proserpine. Elle allait, dans la joie ingénue de son sexe et de son âge, cueillant la violette ou le lis, en parant son sein, en remplissant des corbeilles, en disputant à ses compagnes à qui rassemblerait les fleurs les plus belles.
Pluton l'aperçoit et s'enflamme. La voir, l'aimer, et l'enlever, n'est pour lui qu'un moment. La jeune déesse, dans son trouble et dans son effroi, appelle en gémissant sa mère, ses compagnes, et sa mère surtout. Sa moisson de lis s'échappe de sa robe déchirée. Ô candeur de son âge ! dans ce moment terrible la perte de ses fleurs excite encore ses regrets.
Le Marquis de Sade
Sade est important, non seulement pour ses écrits, mais par sa capacité incroyable de résilience et de volonté d'imposer sa pensée, car même emprisonné, condamné à mort, il continua malgré tout à écrire ce qui lui semblait essentiel : le droit au plaisir et à la liberté de penser et d'agir. C'est un grand exemple pour moi et sans doute pour beaucoup d'artistes, car très fréquemment, nous sommes confrontés à des difficultés financières terribles, mais également au problème du manque de lieux de diffusion pour pouvoir montrer notre art, la peinture, qui est victime de l'ostracisme hégémonique esthétique et dogmatique de la politique culturelle Française imposée par ses représentants.
Mais revenons aux écris de Sade, j'ai lu toute son œuvre, mais le livre dont je me souviens le plus est Aline et Valcour, roman écrit lors de son emprisonnement à la Bastille, dans lequel il nous raconte les péripéties plusieurs aventuriers protagonistes. Parmi lesquels Léonore, jeune mariée ayant été enlevée à Venise par des pirates, et Sainville, son mari, qui la poursuit et la recherche tout autour du monde au long de ses pérégrinations d'otage prisonnière : d'Europe pays des royautés, en Orient aux sociétés khalifales, en Afrique noire aux sociétés tribales, pour enfin se retrouver dans une île paradisiaque du Pacifique : Tarnoé, royaume du prince Zamé, souverain régnant sur une société égalitaire et n'honorantque le dieu Soleil, à l'aube et quotidiennement.
Sade profite de ce roman pour analyser les différents types de modes sociétaux. En imposant comme toujours, au travers de ses œuvres, la volonté de trouver le lieu où le corps pourrait exulter à la fois sa quintessence sexuelle et spirituelle. Toutes ces aventures romanesques décrites et entrecoupées, par des récits fantastico-érotiques et par des questionnements philosophiques sur la façon la plus harmonieuse d'être gouverné, sont à mon avis plus puissantes que celles décrites dans les 120 journées de Sodome. Par exemple quand Sainville et Léonore se retrouvèrent dans une tribu de cannibales africains du royaume de Butua où Sainville devint, par grande fortune, le goûteur de femmes attitré du roi Ben Mâacoro. Après avoir inopinément sondé le corps et le sexe de son épouse sans le savoir pour verifier, les yeux bandés et les yeux de sa femme bandés également, si elle était toujours vierge afin que le roi l'honore la nuit suivante dans son harem, il fit le rêve suivant :
- Ô toi que j'idolâtre, m'écrirai-je, serais-je donc coupable envers toi ? non, non, épouse adorée, nuls attraits ne balanceront les tiens, dans l'âme ou s'érige ton temple !... Mais Léonore, si tu m'enflammas, ô Léonore, si tu es belle, hélas ! Tu ne peux l'être qu'ainsi..." Et je l'avoue, mes sens tranquilles jusqu'alors, s'irritèrent avec impétuosité. Je ne fus plus maître de les contenir ; il me semblait que l'amour même, entrouvrant les gazes qui voilaient cette malheureuse captive, m'offrait les traits chéris de mon coeur : séduit par cette douce et cruelle illusion, j'osai, pour la première fois de ma vie, être un instant heureux sans Léonore. Je m'endormis, et ces chimères s*évanouirent avec les ombres de la nuit.
- Oh ! Dit-elle après avoir fini...que c'est une chose courte que la vie!... il semble que tout cela ne soit qu'un songe.
Ce roman est à rapprocher de tous les romans du siècle des lumières et des utopistes, il fait penser bien sur parmi tant d'autres romans humanistes, aux Essais de Montaigne, à L'Histoire de ma vie et au roman Icosaméron de Casanova, deux autres auteurs essentiels !
Mircéa Éliade
À une période, j'ai pratiquement lu toute son œuvre et je dois dire que sa pensée et ses réflexions m'ont beaucoup marqué lors de mes années de formation. Je me rappelle encore être dans la librairie du Louve, découvrir et acheter son petit livre Le sacré et le profane, voici enfin quelqu'un qui pouvait expliquer, noir sur blanc, le pourquoi de la désespérance de l'homme contemporain : c'est à cause, entre autre, de la désacralisation de nos sociétés devenues uniquement athées et profanes :
Et dans la mesure où l'homme dépasse son moment historique et donne libre cours à son désir de revivre les archétypes, il se réalise comme un être intégral, universel... - Même son sommeil, même ses tendances orgiastiques sont chargés d'une signification spirituelle. Par le simple fait qu'il retrouve au cœur de son être les rythmes cosmiques. — Images et Symboles.
Merci à cet auteur de m'avoir rassuré et fait comprendre que je n'étais pas uniquement un artiste provocateur et gravement obsédé sexuellement, mais également un être pensant et spirituel, contrairement à ce que pense une partie du public découvrant mes œuvres !
Un autre de ces livres très important est Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase. Ce livre impressionnant foisonne d'informations sur la pratique du chamanisme dans les sociétés traditionnelles et j'y ai puisé beaucoup de renseignements que je n'aurais sans doute pas connus, sans son important travail de collection d'écrits et de témoignages à ce sujet, en voici quelques exemples :
L'âme humaine se manifeste généralement sous la forme d'une mouche ou d'une abeille. Mais comme chez les autres peuples sibériens, les Tchouktches connaissent plusieurs âmes : après la mort, l'une s'envole au Ciel avec la fumée du bûcher, l'autre descend aux Enfers où son existence se continue exactement comme sur la terre.
Il sait définir aussi la fonction exacte du chaman :
La technique chamanique par excellence consiste dans le passage d'une région cosmique à une autre : de la Terre au Ciel, ou de la Terre aux Enfers. Le chaman connaît le mystère de la rupture des niveaux.
Je m'arrêterai là pour les citations, mais je dois le remercier profondément pour toute la lumière qu'il m'a permis de faire sur mon processus intérieur créatif de même que son ami Jung.
Carl Gustav Jung
Jung est très important pour sa découverte et sa compréhension de l'inconscient collectif, cet océan qui nous englobe tous :
C'est l'univers de l'eau, là où toute vie flotte en suspension.
J'ai parlé antérieurement de son très beau livre L'homme et ses symboles, dans lequel, avec ses collaborateurs, il a fait une analyse aussi complète que l'époque le permettait, de toutes les informations visuelles qu'ils avaient trouvées, et provenant d'innombrables cultures. Son idée de penser qu'il y aurait en fait des informations qui se transmettent de façon universelle transculturellement et transgénétiquement, me semble importante ainsi que ses idées sur les archétypes nous habitant et nous façonnant tous comme des mannequins humains.
L'artiste n'est pas aussi libre, lorsqu'il crée, qu'il le croit. Si son œuvre est réalisée d'une façon plus ou moins inconsciente, elle obéit aux lois de la nature, qui, au niveau le plus profond, correspondent aux lois de la psyché, et vice-versa.
Cette fusion dans l'universel, est-ce la réminiscence d'une utopie paradisiaque religieuse fanée ou une réalité révélée par un grand chercheur scientifique ? Cela pose en effet à l'artiste que je suis, toute la question sur le problème du libre arbitre et de la conscience individuelle : comment sortir des archétypes et d'ailleurs, faut-il vraiment en sortir ou les utiliser comme armes de combats ? Beaucoup de réponses proviennent chez Jung, des traditions philosophiques asiatiques bouddhistes et hindouistes qui enseignent des systèmes de pensées non dualistes et la découverte de la rédemption par l'effacement individuel dans l'universel.
La lumière de la conscience se prépare à se détacher des puissances vitales pour entrer dans l'unité ultime et indivise, dans le centre du vide et Dieu habite dans le vide et la vitalité les plus extrêmes. — C.G. Jung, Commentaire sur le Mystère de la fleur d'Or.
Georges Bataille
Son livre L'Èrotisme m'ouvrit beaucoup de pistes de travail en me faisant réfléchir sur la finalité et la manière de structurer la présentation de mes œuvres. Bataille y parle en effet de la discontinuité du temps humain, que seuls les transes sexuelles ou religieuses extatiques peuvent réintégrer dans la continuité :
L'orgie n'est pas le terme auquel l'érotisme parvint dans le cadre du monde païen. L'orgie est l'aspect sacré de l'érotisme, où la continuité des êtres, au-delà de la solitude, atteint son expression la plus sensible.
Cette idée m'a poursuivi pendant longtemps et je pense qu'elle eut une grande influence sur la façon dont je décidai de présenter mon travail : ce ne serait plus des peintures montrées individuellement comme une œuvre fragmentée, unique, temporelle, mais des individualités assemblées, juxtaposées, dans un espace continu, global, universel et intemporel ; presque comme dans un océan ou un univers aux frontières illimitées. Une présentation d'un art total dont parlait si bien Wagner à propos de ses opéras !
Toutes ses pensés sur les liens indissolubles entre le sexe, l'individu, la mort et la société, sont très pertinentes et avancèrent également mes réflexions à ce sujet comme par exemple :
La transe des organes dérange une ordonnance, un système sur lequel reposent l'efficacité et le prestige. L'être en vérité se divise, son unité se rompt, dès le premier instant de la crise sexuelle. A ce moment, la vie pléthorique de la chair se heurte à la résistance de l'esprit.
Ainsi que :
A la base de l'érotisme, nous avons l'expérience d'un éclatement, d'une violence au moment de l'explosion.
Henri Michaux
J'aime les livres d'Henri Michaux, où il raconte ses voyages faits en Inde et en Chine, mais également tous ses livres sur les récits de ses transes et expériences d'états hallucinatoires réalisés sous mescaline comme dans L'infini turbulent. Il était très courageux d'avoir essayé toutes ces drogues fortes de manière presque systématique, pragmatique et scientifique sur lui-même. Lors de ses transes, Henri Michaux, qui était également peintre, dessinait ses visions, et les traces de ses mémoires hallucinatoires sont vraiment à la fois cosmiques et intra-structurelles. C'est l'immensément grand et l'infini petit réunis dans un même espace de vibration en résonance avec l'énergie globale intrinsèque de l'Univers, la fin de la dualité et l'effacement du temps.
Les informations écrites qu'il a ramenées de ces "voyages", nous montrent à quel point nos inconscients personnels et collectifs sont riches et surchargés d'informations et d'imaginaires multiples, que toutes les cultures traditionnelles hindoues et bouddhistes connaissent parfaitement et enseignent depuis des millénaires.
Son livre Un barbare en Asie, parle justement de sa rencontre avec l'Asie et j'en citerai quelques phrases qui montre sa pertinence, son goût pour l'ailleurs et son intelligence analytique :
Faisant l'amour avec sa femme, l'Hindou pense à Dieu dont elle est une expression et une parcelle...
Cette communion dans l'immense, à un tel moment de plaisir commun, doit être vraiment une expérience qui permet de regarder ensuite les gens dans les yeux, avec un magnétisme qui ne peut reculer, saint et lustral à la fois, impudent, et sans honte; l'animal même doit communiquer avec Dieu, disent-ils, tant la limitation, quelle qu'elle soit, leur est odieuse.
Il disait :
Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l’aventure d’être en vie.
C'est un très grand artiste, poète et écrivain et il y a beaucoup à apprendre et à comprendre de son œuvre et de son parcours si singulier !
Antonin Artaud
Cet auteur là est un phénomène, comme une espèce de comète astrale au parcours fulgurant. Je crois avoir lu presque toute son œuvre et j'avais vu une importante rétrospective qui lui était consacrée au Musée d'Art moderne de Vienne en 2002.
Non seulement c'est un grand écrivain, mais également un grand penseur, un grand dessinateur et un homme de théâtre. C'est un peu compliqué de décrire le pourquoi de ma fascination pour Antonin Artaud, surtout aujourd'hui, où il est de bon ton de s'en référer dans les milieux Bobos. Peut-être qu'il leur apporte un peu de ce qu'ils ont perdu, le courage de crier et de revendiquer sa souffrance et sa solitude, de réclamer le bonheur promis et dû, un bonheur non négociable, pas au rabais, un partager ensemble avec des êtres humains qui nous ressemblent et ne nous jugent pas et qui nous aiment !
J'apprécie beaucoup ses moments de "délire" ou plutôt d'extra lucidité cosmico-sexuelle dans Héliogabale ou l'anarchiste couronné, ainsi que dans ses textes mexicains écrits chez Les Tarahumaras. Ces textes oscillent toujours entre la folie et le génie, et je place ici quelques phrases extraites de ces deux livres un peu au hasard comme dans un cadavre exquis, si cher à Artaud.
Nul au Mexique ne peut être initié, c'est à dire recevoir l'onction des prêtres du Soleil et la frappe immersive et régénératrice de ceux du Ciguri, qui est un rite d'anéantissement, s'il n'a été auparavant touché par le glaive du vieux chef indien qui commande à la paix et à la guerre, à la justice, au mariage et à l'amour.
Ceux qui disent qu'il n'y a pas de Dieux, c'est qu'ils ont oublié le cœur.
On peut dire par conséquent que la question du progrès ne se pose pas en présence de toute tradition authentique. Les vraies traditions ne progressent pas puisqu'elles représentent le point le plus avancé de toute vérité. Et l'unique progrès réalisable consiste à conserver la forme et la force de ces traditions. A travers les siècles, les Tarahumaras ont su apprendre à conserver leur virilité.
La force qui recharge les mascarets, qui fait boire la mer à la lune, qui fait monter la lave dans les entrailles des volcans ; la force qui secoue les villes et qui assèche les déserts ; la force imprévisible et rouge qui fait grouiller dans nos têtes les pensées comme autant de crimes, et les crimes comme autant de poux ; la force qui soutient la vie et celle qui fait avorter la vie ; sont autant de manifestations solides d'une énergie dont le soleil est l'aspect lourd.
Claude Levi-Strauss
Les écrits de Claude Levi-Strauss sont essentiels, c'est vraiment un des grands ethnologues et penseurs du XXsiècle. Je n'ai malheureusement pas encore lu tous ses livres, mais j'ai beaucoup apprécié Tristes Tropiques où il raconte ses rencontres avec les peuples indigènes Bororo du Brésil, qui n'avaient à l'époque eu que peu de contacts avec la "civilisation". Il eut le terrible privilège de voir ces peuples décliner et disparaître au fur et à mesure de ces voyages successifs en Amazonie, ainsi que toutes les différentes cultures indiennes qui avaient jusqu'alors pu se perpétrer tant bien que mal. C'est un témoin essentiel de ce que nous ne verrons malheureusement plus jamais : des êtres humains vivant en symbiose totale dans leur espace culturel et naturel. Je placerai ici une de ses phrases tirées de son livre, car tout le monde connaît sa pensée et ses écrits qui sont déjà largement diffusés.
L'œuvre du peintre, du poète ou du musicien, les mythes et les symboles du "sauvage" doivent nous apparaître, sinon comme une forme supérieure de connaissance, au moins comme la plus fondamentale, la seule véritablement commune, et dont la pensée scientifique constitue seulement la pointe acérée : plus pénétrante parce qu'aiguisée sur la pierre des faits, mais au prix d'une perte de substance, et dont d'efficacité tient à son pouvoir de percer assez profondément pour que la masse de l'outil suive complètement la tête.
Daisetz Teitaro Suzuki
J'ai lu des livres sur le travail de John Cage, qui parlaient souvent des l'importantes influences dont il a reçue des enseignements bouddhistes du maître Suzuki. Par la suite j'ai lu le livre de Jack Kerouac, Les clochards célestes, livre superbe s'il en est, qui parlait également des enseignements bouddhistes avec son ami Garry Snyder et de sa révélation mystique dans la montagne. J'ai décidé alors d'acheter le livre des Essais sur le Bouddhisme zen et je ne le regrette pas ! Je ne ferai pas ici l'apologie de la pensée philosophique bouddhiste, mais je dois avouer qu'a de nombreux endroits du livre, j'ai trouvé des réponses et des questions, par exemple pour essayer de comprendre cet élément essentiel de notre monde : Le Vide ! dont nous n'avons aucune conscience dans nos cultures occidentales, confondant le Vide d'avec le Néant, et qui semble un élément d'une richesse et d'un présence absolue :
Le Vide n'a pas le sens de la relativité ou de la phénoménalité ou du rien, mais signifie plutôt l'Absolu ou quelque chose de nature transcendantale.
A lire ici la révélation de la connaissance infinie dans la tour spirituelle Vairochana, qui est le lieu où vivent dans les délices ceux qui comprennent la signification du Vide, du Sans-forme, de la Non-volonté, et où le jeune novice Sudhana rencontre les Bouddhas. C'est une expérience paradoxale intéressante : comment parler du Vide en montrant l'opulence, la sensualité et l'exubérance ! C'est en fait exactement la démarche spirituelle que j'entreprends dans mon travail !
Sudhana voit toutes les colonnes émettre toutes sortes de lumière de joyaux mani : bleues, jaunes, rouges, blanches, couleur de cristal, d'eau, d'arc-en-ciel, couleur d'or purifié, et de toutes les couleurs de la lumière.
Sudhana voit des statues de jeunes vierges, statues faites d'or de Jambûnada et d'autres statues faites de pierres précieuses. Quelques-unes tiennent en leurs mains des nuages de fleurs ; d'autres des nuages de draperies, de bannières, de banderoles, de dais, de guirlandes ; d'autres portant des encens de différentes sortes, de précieux réseaux de joyaux mani ; quelques-unes sont embellies de couronnes. Toutes inclinant leur corps, regardent de toute leur attention les Bouddhas.
Je n'analyserai pas tout ce que le livre de D. T. Suzuki, m'a apporté, mais ces deux citations montrent d'une part, la richesse visuelle de la pensée bouddhiste et d'autre part l'idée qu'il faut créer l'art, comme la vie, dans le présent au moment de sa création et sans espoir de retouche. Cela peut nous faire penser aux immenses dessins-performance de John Cage, dans Ecrire sur l'eau, le très beau livre d'Ulrike Kasper, où il trempa son immense pinceau dans l'encre de chine et marcha sur un long morceau de papier, laissant la trace de ses pieds et du pinceau s'effacer progressivement dans le geste et disparaître dans l'infini !
La vie est comme une peinture soumiye qui doit être exécutée une fois pour toutes, sans hésitation, sans intervention de l'intellect, sans que la moindre correction soit permise ou possible. Car dans la peinture soumiye, le moindre coup de pinceau sur lequel on repasse une seconde fois devient une tache, la vie l'a quitté.
Brian Greene
Les différents modes de vibration d'une corde fondamentale génèrent des masses et des charges différentes. les configurations vibratoires plus frénétiques ont plus d'énergie et plus de masse.
J'aime parfois lire des livres écrits par les scientifiques, bien sûr Einstein, mais également Gell-Mann, The Quark and the Jaguar, ainsi que d'autres écrivains. Mais j'ai beaucoup aimé le livre L'Univers élégant de Brian Greene. Il y parle de la controversée théorie des cordes et comme tout livre scientifique, il est parfois un peu difficile à comprendre, malgré tout j'ai récupéré quelques idées et pensés m'éclairant, soit à comprendre mieux ce que je fais, soit m'indiquant des pistes de recherches esthétiques futures. Je citerai ici quelques exemples des fragments de pensée intéressantes, sans autre commentaire que leur pertinences propre sauf pour le rapport qui semble exister entre l'énergie des trous noirs et celle ressentie dans les transes :
Des champs gravitationnels plus forts encore, comme ceux qui règnent autour d'un trou noir, provoquent un ralentissement bien plus important de l'écoulement du temps : Plus le champ gravitationnel est intense, plus la distorsion du temps est importante.
Cet extrait semble parler exactement des expériences de transes chamaniques induisant une distorsion du temps et une accélération du champ de gravité, sauf que lors de transes, la gravitation est plus intense, mais le temps s'accélère à l'infini, pour atteindre la vitesse de la lumière, puisque nous atteignons l'état d'ubiquité, comme ces neutrino capables d'être en deux endroits à la fois : dans la boite A et dans la boite B !
Il ne fait plus aucun doute maintenant que la notion intuitive de l'espace vide comme une scène statique, calme et déserte est complètement à coté de la plaque. Du fait de l'incertitude quantique, le vide regorge d'activité.
La théorie de la nature pourrait très bien vivre sur le fil du rasoir, à la frontière entre la cohérence et l'autodestruction.
Les différents modes de vibration d'une corde fondamentale génèrent des masses et des charges différentes. Les configurations vibratoires plus frénétiques ont plus d'énergie et plus de masse.
Bruce Chatwin
J'ai découvert assez récemment l'œuvre de Bruce Chatwin et je trouve qu'il décrit très bien les relations, les confrontations et les conflits, entre lui, le nomade, l'homme qui marcha et voyagea sans cesse avec son seul sac à dos, de la Patagonie à l'Australie, ainsi que toutes les tribus nomades en général et tous les sédentaires, qu'ils soient fonctionnaires urbains ou paysans campagnards. Voici quelques extraits de son superbe livre Le Chant des pistes.
Les Aranda, qui vivaient dans une région où les points d'eau ne tarissaient jamais et où le gibier demeurait toujours abondant, étaient des ultra-conservateurs, aux cérémonies immuables et aux initiations brutales. Chez eux, en cas de sacrilège, un seul châtiment : la mort. Ils se considéraient comme une race "pure" et envisageaient rarement de quitter leurs terres.
Les gens du Désert occidental, quant à eux, avaient l'esprit aussi ouvert que les Aranda l'avaient fermé, ils échangeaient volontiers chants et danses, leur amour de la terre ne les empêchant nullement d'être toujours en déplacement. Ce qui est le plus surprenant chez ces gens, c'est la spontanéité de leur rire. C'était un peuple joyeux et rieur qui se comportait comme s'il n'avait jamais connu le moindre souci dans la vie. Les Aranda civilisés qui travaillaient dans les stations d'élevage de moutons disaient d'eux : "Ils rient tout le temps. Ils ne peuvent pas s'en empêcher.
Les Bochimans, qui traversent à pied le désert du Kalahari sur de longues distances, n'ont aucune notion de la survie de l'âme dans un autre monde.
"Quand nous mourrons, nous mourrons", disent-ils. "Le vent efface nos empreintes de pas et c'en est fini de nous."
Commentaire de Chatwin :
Des peuples apathiques et sédentaires, tels que les anciens Egyptiens - avec leur concept d'un voyage après la mort dans le Champ de roseaux - projettent dans l'autre monde les voyages qu'ils n'ont pas réussi à faire dans celui-ci.
Jean Malaurie
Jean Malaurie est un porte-voix et une grande figure de la défense des peuples premiers, non seulement par ses récits d'hivernage fait chez les Inuit, alors qu'ils vivaient encore de manière traditionnelle, mais aussi part tous les voyages qu'il effectua autour du cercle polaire. Il dirige également sa magnifique maison d'édition Terre humaine, dans laquelle on peut lire de nombreux témoignages directs et non pas historiques, de personnes indigènes ou ayant été en contact avec toutes ces sociétés traditionnelles disparaissant petit à petit et même dramatiquement jour après jour.
Voici quelques livres de sa collection que j'ai lus avec grand intérêt et fascination :
- Les lances du crépuscule : Relations Jivaros, Haute-Amazonie
de Philippe Descola - Rêves en colère : Alliances aborigènes dans le Nord Ouest australien
de Barbara Glowczewski - Ishi : Testament du dernier Indien sauvage de l'Amérique du Nord
de Theodora Kroeber - Moeurs et Sexualité en Océanie
de Margaret Mead
Voici cités ici quelques extraits du livre de Jean Malaurie, Les derniers rois de Thulé :
L'Esquimau vit dans le miracle ; rien ne l'étonne. La religion ancestrale le fait communiquer avec ses esprits familiers personnels qui le conseillent, le soutiennent, le guident. Que le chaman soit en mesure d'aller en quelques secondes sous les eaux consulter Nerrivik, visiter la lune ou quelques autres lieux éloignés est normal. De grands anggakkut, dans les moments de malheur, en ont été capables : tous les Inuit le disent et les Inuit ne peuvent se tromper.
Lors de leur rencontre du soir, lorsque les Esquimaux sont réunis, la conscience collective du groupe, tel un ordinateur géant, réinterprète ces signes. Preuve de cette aptitude à penser mieux et plus loin ensemble : il est remarquable que ces hommes, d'intelligence individuelle certaine mais non exceptionnelle, très démunis techniquement, aient été à diverses reprises en mesure de prévoir des changements de climat de grande amplitude, plusieurs années à l'avance. Il est significatif qu'avec une intelligence organique, proche de celle des animaux, ils aient adapté leur démographie, leur système de vie aux conditions naturelles (englacement, brouillard, froid) qu'ils pressentaient.
Ce passage mérite un petit commentaire. Je pense en effet que les malaises profonds de nos sociétés contemporaines, sont en partie dus au fait de la disparition de notre instinct collectif de survie, car bien que nous soyons reliés de manière plus tangible technologiquement, il semble que nous ignorions tout des multiples signes environnementaux alarmants qui nous menacent en tant qu'espèce. Peut-être est-ce une question d'échelle ? Et qu'il est plus facile de déplacer une tribu d'une centaine d'individus que de faire changer la mentalité de la planète toute entière ? Malgré tout, je ressens profondément, en France en particulier, cette perte totale du lien et de la pensée sociale et la disparition évidente d'une intelligence collective, fait que j'ai personnellement moins ressenti à New York.
LES CINEASTES
Le rôle des cinéastes et des artistes est peut-être de nous apprendre à résister, sous toutes les latitudes et dans toutes les sociétés, si le système économique ou sociocultuel en place ne nous satisfait pas et semble nous voler notre âme ! Les quelques cinéastes suivants m'ont ouvert des voix de réflexion sur une façon différente d'appréhender la vie sous toutes ses manifestations : la relation à l'autre, le vivre en groupe, les rapports privilégiés avec la nature, à la création et à l'amour, en d'autres mots leurs Messages révolutionnaires artaudiens m'ont ouvert l'esprit et le cœur !
Pier Paolo Pasolini
Pasolini est peut-être celui qui a le plus cherché et trouvé des solutions face à une société des années soixante-dix en pleine mutation. Il fit comme un état des lieux de son héritage culturel, tant littéraire que pictural ainsi que des phénomènes sociaux, en s'immergeant dans différentes époques historiques. Dans l'antiquité avec Médéa, dans le Moyen âge avec Des oiseaux petits et gros, son film sur Saint François d'Assise, Les contes de Canterbury et le Décamèron et surtout dans l'Orient intemporel, mystérieux, magique et mythique avec Les Mille et une Nuits, et Notes pour un film sur l'Inde, et pour finalement frontalement parler de notre société contemporaine avec son Théorème.
Il y a une constante dans ses films, c'est le désir, sexuel, la poésie de ce désir et l'effet destructeur du désir en général sur les structures sociale établies : mariages, différenciations sociales et préjugés moraux. C'est très clair dans le Théorème où le jeune visiteur vint bouleverser et déstabiliser tous les membres de la famille bourgeoise par le désir qu'il leur inspire, comme un révélateur alchimique et mystique de la vraie nature humaine.
"Tu as fait déborder d'un intérêt limpide et fou, une vie qui en manquait tout à fait. Et tu as dénoué le nœud obscur de toutes les idées fausses dont est nourrie une femme de la haute bourgeoisie : les horribles conventions, le badinage horrible, les horribles principes, les horribles devoirs, les politesses horribles, l'horrible démocratisme, l'horrible anticommunisme, l'horrible fascisme, l'horrible objectivité, le sourire horrible." disait Lucia, la femme de l'industriel dans le film.
Pasolini a raison, les conventions sociales sont très contraignantes, mais aujourd'hui, ce n'est plus seulement la haute bourgeoisie qui agit ainsi, mais nous, tous consommateurs de rêves bon marché et de syncrétismes idéologiques et relationnels. Il n'y a plus de recherche transcendantale comme ce fut le cas au travers de notre histoire, de Saint François d'Assise à Gandhi et de Gilgamesh à Rimbaud, et il semble, que l'arbre sacré soit bien mort :
Par conséquent la religion ne survit plus désormais, en tant que fait authentique, que dans le monde paysan, c'est-à-dire... dans le tiers monde ? — extrait de Théorème.
Un autre de ses films que j'adore toujours regarder est Les Mille et une Nuits, où Nourredine, jeune héros, recherche son amoureuse au travers d'histoires et d'aventures multiples et rocambolesques qui font beaucoup penser au roman de Sade, Aline et Valcour. Il s'en dégage une poésie antèchristique, un amour et une innocence d'une justesse extatique, provoquant l'émerveillement et la joie expansive de tout spectateur. Ses cadrages se référant toujours à l'histoire de la peinture, sur les corps exposés nus, sans tabous, sexués et s'aimant, comme dans tous ses films d'ailleurs, sont toujours superbes.
J'ai gardé cette idée de Pasolini de faire l'état des lieux des cultures nous ayant précédées ainsi que ce rapport au corps : frontal, sexué et provocateur.
"Je ne vis que par et pour le scandale", disait-il.
Frederico Fellini
Cet autre monstre sacré du cinéma Italien est un maître de l'onirisme, du fantastique, de l'humour et de la description de la tragédie humaine. J'aime ses nombreux films avec une préférence pour son Casanova. Ce film épique, tiré de la magistrale Histoire de ma vie de Casanova, avec tous les rebondissements que décrit Giacomo dans son livre : sa sortie de prison, ses nombreuses conquêtes féminines, ses voyages dans toute l'Europe de l'époque, sa luxure, son goût immodéré pour toutes les femmes, fussent-elles enfermées dans un couvent ou mariées à de riches notables etc. Fellini en fit une épopée jouissive, aux costumes exubérants et aux scènes érotiques fantastico-burlesques.
Ce cinéaste est un cinéaste intéressant car il a travaillé avec l'inconscient collectif, plongeant profondément et se nourrissant directement des rêves de ses contemporains. Il les dépasse en utilisant cette matière universelle fluide et mouvante, pour l'amener sur l'écran, la fixer à jamais dans des scènes à la beauté apoplexique. Son génie transparaît dans tous ses films et il nous enseigne l'émotion juste à avoir face à la création et à la vie : ce n'est pas trop grave, il faut garder son humour et s'en délecter, de la vie ! Comme dans la Cité des femmes, où la réalité et les souvenirs s'entremêlent et fusionnent pour former la Magma mater du vivant.
J'en terminerai avec ce passage du livre de Casanova :
Je vantais hautement ses beautés, la perfection de ses formes dans l'objet d'encourager Hélène qui se déshabillait lentement ; mais un reproche de mauvaise honte que lui adressa sa cousine fit plus d'effet que toutes les louanges que je prodiguais. Voilà enfin cette Vénus dans l'état de nature, fort embarrassée de ses mains, couvrant de l'une une partie de ses charmes les plus secrets, de l'autre l'un de ses seins, et paraissant confuse de tout ce qu'elle ne pouvait cacher. Son embarras pudique, ce combat entre la pudeur expirante et la volupté m'enchantait. Hedvige était plus grande qu'Hélène, sa peau était plus blanche et sa gorge double de volume ; mais Hélène avait plus d'animation, des formes plus suaves, et sa gorge taillée sur le modèle de la Vénus de Médicis.
Terrence Malick
J'aime beaucoup son film Le Nouveau Monde, retraçant l'histoire d'amour entre l'amérindienne Pocahontas et John Smith un navigateur européen. Ce film est filmé avec une lenteur qui est la lenteur des mouvements du corps des peuples non industrialisés, comme s'ils étaient un peu au ralenti pour nous, et sous une lumière diurne et naturelle, imposant une présence forte et réelle aux protagonistes.
Encore une fois il y est question de conflit entre deux civilisations qui s'attirent et se repoussent, s'entraident et se détruisent. Cette métaphore mythologique, ce combat entre "la sauvage" et "le civilisé", se termine mal avec la mort de Pocahontas, dans le froid brouillard enveloppant les châteaux d'Angleterre. C'est cependant une belle leçon de chose sur l'altérité et l'alter ego, au delà du couple masculin-féminin, à savoir comment s'adapter à d'autres modes de penser, et faut-il sortir de notre village pour découvrir le monde et finalement finalement mourir dans la solitude ?
Werner Herzog
Voici un autre cinéaste rebelle, anticonformiste, l'esprit toujours en éveil pour dénoncer des situations lui semblant injustes et des comportements individuels inappropriés. Comme dans Aguirre, la colère de Dieu où dans Le Pays où rêvent les fourmis vertes où l'homme agit en dépit du bon sens : en conquistador stupide voulant asservir les indigènes dans Aguirre où il recherche désespérément l'Eldorado, devient fou, délirant et mégalomane ; et une compagnie minière destructrice exploitant une mine d'Uranium dans le désert Australien tout en essayant d'en expulser les aborigènes natifs.
Herzog nous montre souvent le côté sombre du progrès technologique, qui dissocie pour mieux régner ; et le coté positif des sociétés traditionnelles, qui relient les individus dans un combat et un espoir du vivre ensemble collectivement. Je me rappelle de mémoire une phrase d'un dialogue d'un bushman blanc vivant dans une caravane en plein milieu du désert, où celui-ci dit à peu près ceci :
La civilisation est comme un train allant à grande vitesse et quand le train déraillera, il faudra mieux être dans le dernier wagon !
Je crois qu'il a raison, et notre train déraille, je ne sais pas si je suis dans le dernier wagon, mais en tout cas, je vois déjà beaucoup de choses abîmées et détruites autour de moi.
Enfin tout cela est relatif, car si on lit l'Hagakure, écrits sur la voie du samouraï, ouvrage du japon du XVIIIème siècle, déjà les samouraï de l'époque regrettaient la rigueur, la simplicité, la spiritualité et la qualité de la vie dans les époques précédentes. C'est donc un fait immuable, inhérent à l'humanité, nous regrettons tous nos paradis perdus. Mais on aurait tort de ne pas ouvrir les yeux sur les désastres que provoquèrent tous les progrès techniques et industriels sur les biotopes naturels tout en accélérant l'extermination des sociétés traditionnelles.
Tout le monde affirme que la corruption qui prévaut de nos jours ne pourra nourrir la main d'un maître. Je ne suis pas d'accord, car de tous temps, les roses, les pivoines, les azalées, les camélias et leur semblables ont poursuivi invariablement leur évolution pour nous offrir des fleurs de plus en plus belles et raffinées. Cela confirme, s'il le fallait, que la beauté naît de l'affectueuse attention que l'homme porte aux choses. De la même manière, si, ce que peut accomplir la main d'un maître revêt une aussi grande importance, nul doute que des maîtres émergeront, même en ces temps controversés. Il est bien dommage que le monde condamne cette époque dégénérée sans pour autant faire les efforts nécessaires pour la changer. Ce n'est pas l'époque qui est à blâmer, mais le manque de conviction et de persévérance. — Hagakure
Akiro Kurosawa
Les films de Kurosawa sont d'une esthétique inégalée, qui souvent m'inspire dans mon travail. Son film Rêves, avec des portraits sur les différents âges de la vie, est somptueux, en particulier dans le passage sur Le verger aux pêchers, où il y a cette scène magnifique avec des arbres déversant leurs fleurs sur les samouraïs en armures. Il y a dans ce film comme une présence surnaturelle de la nature à la beauté éblouissante et dans laquelle l'homme lutte et se bat, mais trouve également son apaisement. Les Rêves de Kurosawa sont les rêves de l'humanité toute entière, avec ses angoisses des catastrophes nucléaires, de la mort et de la vieillesse, de l'avancé technologique et de la déritualisation des sociétés traditionnelles.
Tous ses autres films comme Ran et Kagemusha se déroulant dans le Japon traditionnel des Samouraï, sont également très beaux esthétiquement.
Kurosawa disait : "Les gens d’aujourd’hui ont oublié qu’ils étaient parcelle de la nature."
J'apprécie beaucoup l'œuvre filmée de Godard, il a toujours une intelligence dans sa manière de filmer, un regard pertinent, révolutionnaire, un peu décalé et surréaliste, tout en filmant le réel et le quotidien. Tous ses films proposent de nombreuses références à la peinture et à la couleur. J'ai beaucoup aimé son film Prénom Carmen avec Maruscka Detmers, son héroïne féminine, terroriste toujours dénudée, sexuelle et subversive, perdue dans cette époque des années quatre-vingt, quand la finance commença à prendre le pouvoir sur notre monde. Il y a des plans colorés somptueux en particulier celui avec l'écran de télévision, le plan où les deux trains se croisent dans la nuit alors que les amants s'étreignent et celui où Godard parle, en une diatribe monologue, dans une chambre d'hôtel, aux deux amoureux, à propos de la robe de chambre jaune et disant à peu près ceci :
Si Van Gogh avait vu ce jaune ! Il faut chercher les jeunes ! Qu'avez vous inventé ? - Le chômage ? - Oui, peut-être, et encore, le chômage, c'est pas terrible ça comme invention !
CONCLUSION : DES IMAGES, DES IMAGES, ENCORE DES IMAGES, JE SUIS ICONOPHILE ET ICONOPHAGE !
Que tout ce dont nous sommes conscients est image, et que l'image est âme. — C.G. Jung, Commentaire sur le Mystère de la fleur d'or.
Après cette très belle citation de Jung, j'ajouterai que l'image est également femme et cela pour tous les êtres humains et sur la terre entière. Car nous sommes tous sortis, que nous soyons aujourd'hui homme ou femme, beau ou laid, grand ou petit, riche ou pauvre, simplet ou intelligent, jeune ou vieux... d'une matrice et d'un sexe de femme.
La vulve avec ses lèvres pulpeuses et gonflées est le premier passage par lequel il nous fallut sortir, donc notre première image du monde et la première expérience forte et transcendante. Il est par conséquent tout à fait sain et normal d'utiliser le corps de la femme et l'image de sa vulve en action dans l'art, pour réintégrer cet état primordial, non pas de dégénérescence et de régression, mais de régénérescence et de renouvellement de l'individu, et ainsi donc de la société dans tout son ensemble et dans ses parties les plus sensibles, les plus intimes, les plus secrètes, les plus reculées, les plus enfouies.
De nos jours de nombreuses sociétés deviennent de plus en plus iconoclastes et détruisent, qui de l'art, qui des statues, qui l'image même de la femme et son corps dans son identité, sa féminité et son érotisme ! Je laisse donc aux indélicats et aux conceptuels, ce choix de préférer leurs néants à l'incommensurable profusion d'énergies vitales pulsatives et sexuées qui fertilisent le monde par leur grâce et leur beauté : moi je peins des femmes jouissantes dans des peintures matricielles du monde !
JEAN-PIERRE SERGENT, Besançon, automne 2012
Texte corrigé par Clémentine Davin, et Nathalie Zorzi, mis en page par Cyril Clément