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Jean-Pierre Sergent

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Cette page est consacrée aux transcriptions de différents entretiens filmés en 2024 (x 1)

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TRANSCRIPTIONS DE L'INTERVIEW ENTRE JEAN-PIERRE SERGENT, ARTISTE PEINTRE & JOHNES RUTA, COMMISSAIRE D'EXPOSITION, GALERISTE & CRITIQUE D'ART
ATELIER DE BESANÇON, DIMANCHE 21 AVRIL 2024 | 6 PARTIES | Télécharger le PDF

 

Un grand remerciement pour les relectures des transcriptions à Christine Dubois


PARTIE #1-6 | Voir la vidéo

JOHNES RUTA : Bonjour, nous sommes le 21 avril 2024, je m'appelle Johnes Ruta et je viens de New Haven, Connecticut, États-Unis. Je suis conservateur indépendant, théoricien de l'Art et écrivain et je suis ici avec mon cher ami de longue date Jean-Pierre Sergent, que j'ai connu à l'époque où il vivait à Long Island City, à New York où il est resté jusqu'en 2003. Je suis venu ici pour parler avec lui, passer un peu de temps, voir son travail et ce sur quoi il travaille actuellement et aussi renouer notre amitié. J'aimerais donc lui poser quelques questions sur ses sujets et l'entendre parler de manière aussi informelle que possible dans notre entretien. J'ai donc quelques questions à lui poser sur son séjour à New York et sur les années qu'il y a passées de 1993 à 2003. Comment es-tu arrivé à New York Jean-Pierre ? Et quelles ont été tes rencontres, là-bas, avec les autres artistes et tes affinités avec la Beat Generation, avec Alexandra David-Néel...

JEAN-PIERRE SERGENT : Ah oui mais elle ne fait pas du tout partie de la Beat Generation !

JR : D'accord, non, mais en tant que mentor personnel... Aussi, tes inspirations pour Allen Ginsberg et sa poésie... de l'œuvre de Norman O'Brown, Life Against Death, 1959, qui était essentiellement une psychanalyse de l'histoire. Et les sculptures de Richard Serra et autres.... Alors, dis-moi ce que tu aimes particulièrement dans ces choses-là et pourquoi elles t'inspirent ?

JPS : Tout d'abord, Johnes, merci beaucoup d'être, ici, avec moi aujourd'hui. C'est un grand plaisir de t'accueillir dans mon atelier de Besançon... Surtout que nous ne nous étions pas vus depuis plus de 20 ans. C'est donc très important, pour moi, de discuter, à nouveau, avec toi. Et hier, nous sommes allés au Musée Courbet et nous avons vraiment, passé, ensemble une excellente journée dans cette superbe Ville d'Ornans.

JR : Ah oui, nous y avons passé un très bon moment !

JPS : À regarder les  belles peintures de Courbet et de tous ces grands artistes. Aujourd'hui, il fait un peu froid mais il y a un peu de soleil… et il fait froid un peu comme en hiver ! 

JR : Oui, il fait froid !

JPS : C'est tellement important d'avoir ce nouvel  entretien avec toi car malheureusement, nous n'avons pas été beaucoup en contact mais à New York, je t'avais rencontré par l'intermédiaire de notre ami commun, Miguel Angel Baltierra, qui est architecte. Nous avons visité plusieurs expositions ensemble, tu avais exposé mon travail dans ta galerie de New Haven et nous avons souvent parlé, ensemble, des artistes et du pourquoi et du comment de l'Art !  
Et pour en revenir à mon histoire, je suis arrivé à New-York après avoir élevé des chevaux dans une ferme en France, pendant dix ans puis, j'ai déménagé à Montréal en 1991 et de Montréal, j'ai après déménagé à New York en 1993 où j'ai eu, successivement, trois studios : le premier à Brooklyn, à Dumbo, après, à Chelsea et puis, j'ai déménagé finalement à Long Island City, où vous étiez venus me rendre visite avec ton cher ami Henry Sofeiko.

JR : Oui, tu avais un très bel atelier à Long Island City. J'y suis venu plusieurs fois et c'était très intéressant de voir ce sur quoi tu travaillais à l'époque, tes grandes sérigraphies et nous en reparlerons. Je suis particulièrement curieux de connaître ta démarche artistique ainsi que ta façon de travailler. Dans un sens, au niveau philosophique, tu te décris comme un artiste et un anthropologue?

JPS : Non ! Je ne suis pas du tout anthropologue ! Je m'intéresse à l'anthropologie parce que c'est dans cette discipline que je trouve mes sources d'inspiration, mes images et mes thèmes.

JR : Pas formellement, c'est vrai, moi non plus, je suis autodidacte dans le monde de l'art en tant qu'écrivain. Et donc, en particulier dans ton travail sur la série des "Karma-Kali" et des expériences tantriques, "Sexual Dreams & Paradoxes" (titre de ta dernière série imprimée sur papier en 2022), qui est une série très intéressante. Je voulais donc te demander si tu pouvais référencer, ces différents thèmes dans ton travail et expliquer, brièvement, le contexte de ses idées. Et aussi, développer ces termes qui sont peu familiers pour de nombreuses personnes ? En ce qui concerne cette production et la manière dont j'aimerais, dans le cadre de ma mission de critique, faire mieux connaître tes idées dans le Monde et auprès du public en général, afin qu'elles ne soient plus aussi ignorées.

JPS : Oui, d'accord. Eh bien, c'est compliqué à expliquer parce qu'il s'agit principalement d'énergies sexuelles et aussi, bien sûr de la Vie dans sa globalité et que la Vie est une énergie indescriptible ! Et cela ne peut pas se trouver dans les livres, ni s'expliquer car il faut en faire l'expérience soi-même, tu vois ? 

JR : C'est vrai !

JPS : J'ai donc commencé à travailler principalement avec des images érotiques et pornographiques à New York en 1998, je crois. J'ai toujours été fasciné par les images et la représentation de la sexualité, des orgasmes, des éjaculations, du plaisir et des extases. C'est comme avant où les gens aimaient voir les extases dans les images de transes religieuses,  comme Sainte Thérèse d'Ávila en extase ou même le Christ crucifié en état d'extase au moment même de sa mort. Mais je préfère vivre des extases à travers la sexualité, bien évidemment ! Et donc, je récupère et j'assemble beaucoup d'images pornos récupérées sur l'internet et je redessine ces images pour avoir quelque chose de plat : noir ou blanc. Mon travail ressemble un peu aux 'papiers découpés' de Matisse ! Ça fonctionne comme ses papiers découpés...

JR : Oui, d'accord. 

JPS : Parce que la sérigraphie fonctionne comme ça : c'est soit noir, soit blanc, positif ou négatif, on l'imprime ou on ne l'imprime pas ! Donc, c'est une ligne ou une forme, comme un pochoir, tu ne peux pas imprimer du gris, il n'y a aucune nuance du tout, sauf l'encre que tu utilises…

JR : Oui.

JPS : Comme on peut le voir sur le mur derrière nous... Il y a une multitude d'images et j'utilise aussi beaucoup de motifs provenant de différentes cultures. En ce sens, je suis profondément curieux de savoir ce que d'autres cultures ont approché et utilisé au travers de leur Art, pour accéder aux plaisirs sexuels et à un niveau spirituel supérieur de conscience… Ce sont mes deux principaux sujets de recherche et d'intérêt : spiritualité & sexe. J'ai vraiment envie de travailler là-dessus parce que, malheureusement, ce sont peut-être ce manque de spiritualité dans nos sociétés et la moralité bourgeoise, qui me poussent à m'intéresser à ces sujets ? Mais la plupart des gens ne comprennent pas souvent que, si j'utilise des thèmes sexuels forts et évidents, je peux, aussi également parler de spiritualité, en même temps et paradoxalement ! Pour eux, cela ne semble pas relié et totalement dissocié ! C'est donc le principal problème qui se pose pour l'acceptation de mon art, par le public en général.

JR : C'est vrai, c'est le sérieux problème auquel les artistes sont confrontés à cause de la tendance littérale/rationnelle à catégoriser leurs œuvres d'art.

JPS : Exactement, oui !

JR : Nous essayons donc d'aller au-delà de cela, de ce manque de compréhension des liens entre le Monde spirituel et le Monde physique.

JPS : Tu as raison, oui.

JR : Et maintenant, à notre époque, j'ai vu beaucoup de changements pour la liberté et l'orientation sexuelle qui sont plus acceptés par le public. Mais il y a toujours un frein dans le public, contre ce type d'expression artistique, plus susceptible d'être catégorisée plutôt que d'être intégrée dans une compréhension sociale globale. C'est donc une partie de mon combat !

JPS : Oui, mais les "quidams" (entre guillemets), ne se soucient pas de ces concepts et de l'Art. Ils veulent juste acheter ! Nous sommes dans une société contemporaine d'hyper consommation où l'on veut juste acheter des choses... des voyages, acheter une nouvelle voiture, un nouveau chien ! Et acheter c'est amusant bien sûr ! On trouve une nouvelle maîtresse ou une nouvelle maison... Quoi qu'il en soit, nous vivons, aujourd'hui, dans une société totalement stupide ! On ne se soucie plus des autres… ON ACHÈTE, C'EST TOUT !

JR : Eh bien, c'est essentiellement le gros problème car, c'est aux énergies créatrices et aux artistes qu'il revient de développer et d'intégrer une compréhension dans le public, afin que ces choses ne soient pas simplement autant laissées de côté. C'est la raison pour laquelle, je pense qu'il est vraiment essentiel, que ce sujet soit présenté au Monde de manière plus largement, non pas pour embêter le public mais pour créer des identifications et ce que j'appelle "expérimental". Et que les gens pourraient comprendre leurs expériences sexuelles comme faisant partie intégrale de la Nature !

JPS : Oui mais le problème est que, par exemple, j'ai eu une grande exposition pendant quatre ans au Musée des Beaux-Arts de Besançon, où j'avais quatre murs comme celui-ci derrière nous, dans les grands escaliers du Musée... Mais je n'ai eu aucun retour du public… personne ne m'a contacté suite à ça. C'est comme s'ils n'avaient pas vu les œuvres d'art. Ils ne regardent pas les œuvres, parce qu'ils n'ont plus la culture nécessaire pour regarder l'Art en général... Ils n'ont plus la curiosité de regarder des œuvres. C'est comme s'ils vivaient dans leur propre esprit rétréci et rassis et uniquement dans leurs propres petites voitures. Et ça devient terrible parce que plus personne n'aime les artistes (à l'exception des riches et des célèbres) ! C'est la cruelle vérité, tu sais, c'est vrai, c'est la vraie vérité incontournable !

JR : Tu trouves que la façon dont les gens regardant les œuvres érotiques ont plus de mal avec cette thématique ?

JPS : Même pas, c'est plus à propos de l'Art en général, je pense ! 

JR : L'apprécient-ils ouvertement, je ne sais pas ? 

JPS : C'est une très vieille question parce que je crois que les gens qui achetaient de l'Art étaient beaucoup plus éduqués et curieux avant (il y a seulement quelques années), en tout cas en France... 

JR : Sujet suivant : dans ton travail et dans tes conversations, tu as parlé d'autres connexions, d'inspirations et d'influences comme : Les Chants Adamantins de Saraha & Lara Braitstein, La voie du tantra : Art - Science - Rituel, Ajit Mookerjee etc.

JPS : Oui, oui, oui ! J'aime beaucoup lire sur les pratiques et les rituels tantriques hindous. Je pourrais peut-être citer un texte si tu veux ? 

JR : Oui, volontiers.

JPS : C'est de Mookerjee, qui a écrit beaucoup de livres sur le tantrisme : 

"Le tantra est un mystère créateur qui nous conduit à transmuter, sans cesse davantage, nos actions en conscience intérieure : non pas en arrêtant d'agir mais en transformant nos actes en évolution créatrice…"
Ainsi, vous devenez plus conscient du Monde ! 
"Son but n’est pas de découvrir l’inconnu mais de réaliser le connu car - ce qui est ici est ailleurs et ce qui n’est pas ici n’est nulle part. - Il en résulte une expérience encore plus réelle que celle du Monde objectif."

C'est exactement le même rôle que celui de l'artiste !

JR : Oui, d'accord.

Il faut revenir à la réalité, à ce qui est là ou ce qui n'est pas là ! Vous n'avez pas besoin d'entrer dans des concepts religieux à la con, tu sais, tu vas directement à la réalité de la Vie. Et je commence à croire que je travaille un peu dans ce que l'on appelle la Māyā, l'illusion hindoue (où les choses semblent être présentes mais ne sont pas ce qu'elles semblent être), c'est comme un rêve. Oui, je pense que c'est ce que je fais.

JR : C'est comme des rêves prophétiques ?

JPS : Non, pas du tout prophétique mais c'est un autre niveau de réalité, situé plus profondément dans l'inconscient.

JR : D'accord, c'est quelque chose que l'on peut atteindre au travers des rêves ?

JPS : Les rêves mais aussi surtout par les transes chamaniques... 

JR : Les transes chamaniques, oh, oui.

JPS : Mais tu sais, les énergies sont là. Nous vivons en elles et nous vivons avec ces énergies mais nous ne les ressentons pas tous… Et peut-être que certains artistes peuvent les ressentir, ces énergies là par les couleurs, par les formes, c'est envisageable…

JR : D'accord, c'était une question concernant ce à quoi tu fais référence, qui pourrait être décrit en terme jungien comme une sorte d'inconscient collectif et comment il a commencé en Occident mais dans les cultures indigènes, il est plus clairement intégré dans l'expérience au niveau d'une conscience tribale commune. 

JPS : Exactement, oui !

JPS : Et le principal problème c'est qu'aujourd'hui, bien que nous ayons toujours, malgré tout, un inconscient commun mais il se rétrécit, il s'appauvrit, parce qu'être conscient du Monde, c'est être ouvert d'esprit. Les Amérindiens faisaient des prières à la Beauté, au Soleil, aux Fleurs, aux Bisons ou à beaucoup d'autres esprits animaux et végétaux. Ils étaient connectés à la Nature alors qu'aujourd'hui, nous sommes totalement déconnectés de cette même Nature.

JR : D'accord, c'est un point important ce que tu dis. Oui, parce que le fait d'être connecté à la Nature est aussi une expression de la Nature, dans la conscience humaine.

JPS : Je vais citer un deuxième extrait à propos de Kali, de son énergie sexuelle et de mon travail Karma-Kali, c'est une série d'impressions que j'ai faite, il y a deux ans, c'est sérigraphié sur des papiers de 60 par 80 cm...

JR : C'est un beau format. 

JPS : Donc "Kali symbolise la puissance cosmique active du temps éternel (Kala) et, sous cet aspect, elle représente l’annihilation (du temps) car ce n’est qu’au prix de sa mort ou de sa destruction que la graine de vie peut germer."

C'est une sorte d'autosacrifice. 

JR : Auto-Sacrificiel ? 

JPS : "Kali incarne la création, la préservation et la destruction." Les trois aspects de la vie : la Vie, le Sexe et la Mort. "Elle inspire à la fois la terreur et la ferveur. En tant que force de désintégration, elle est peinte en noir parce que toutes les couleurs disparaissent dans le noir ; de même, tous les noms et toutes les formes disparaissent en elle."

C'est vraiment quelque chose comme un trou noir qui vous absorbe. Donc, elle vous avale et vous recrache après, c'est comme une respiration : inspirer et expirer, dedans et dehors ! Et mon travail c'est un peu cela aussi... On a besoin de respirer et vous y êtes aspirés et puis, vous en êtes rejetés.

JR : C'est donc de là que vient l'idée de l'inspiration ?

JPS : Oui, peut-être que oui.

JR : Qui est une interaction humaine avec le Monde à travers la respiration, à travers la respiration elle-même.

JPS : Oui, d'accord, nous pouvons peut-être nous arrêter maintenant pour cette partie.


PARTIE #2-6 | Voir la vidéo

JPS : Deuxième partie, Johnes, alors tu souhaitais parler d'autre chose ? 

JR : Oui, on continue un peu notre discussion ouvertement sur ta technique artistique pour l'instant et ensuite nous relierons ça au côté plus philosophique de ton travail. Tu pourras faire d'autres associations comme tu le souhaiteras. Quelque part, tes travaux sérigraphiques sont construits par une superposition de motifs, d'images et de figures, parfois de couches sous-jacentes et avec la technique dont nous avons parlé, de  la peinture inversée sur verre ! En peinture, j'ai souvent vu cela, mais imprimé, c'est beaucoup plus compliqué ! Donc, ton procédé du verre inversé consiste à peindre les 4 premiers plans (les premières couches) en sérigraphie à l'intérieur d'un carré de Plexiglas transparent de 1,05 x 1,05 m de côté. En fait, tu travailles de l'intérieur vers l'extérieur, en accumulant des couches successives et ton imagerie est souvent constituée de motifs d'étoiles imbriquées, des patterns répétitifs comme dans l'art arabique non figuratif (les moucharabieh : caché-dévoilé). En revanche, ton travail est davantage figuratif, avec une iconographie principalement érotique. Et je dirais que ces éléments se manifestent vraiment de manière très évidente dans ton travail. Dans le sens d'exhaustivité, c'est-à-dire que ta technique fait partie intégrante de ton processus de travail ?

JPS : Oui, en fait, j'utilise la sérigraphie. J'imprime donc les images sur cette table qui d'ailleurs appartenait à Andy Warhol et elle était, en fait, dans sa Factory à New York.

JR : Oh oui, vraiment ?

JPS : Je l'ai achetée à mon patron, alors que je travaillais à la Drexel Press à Long Island City (1997). Et bien cette table imprimante et tout mon matériel sérigraphique viennent directement de New York ! Je cherchais à acheter une table et Georges Drexel, mon patron de l'époque, qui me l'a vendu, m'a dit  : "Oh, elle a appartenu à Andy Warhol". Je l'ai donc achetée et mes copains de travail me l'ont apportée à mon atelier de LIC, pour en faire une histoire courte. La sérigraphie est un bon moyen de copier et de reproduire des images avec la couleur que je veux. Et je les mélange, je les enchevêtre... parce que j'aime créer une sorte de confusion dans mes œuvres. Je n'aime pas que les choses soient trop évidentes. J'aime que les choses entrent et sortent, en mélangeant des informations disparates. C'est ce que l'on appelle en français : le "voilé-dévoilé"; comme montrer de manière obscène, masquer et cacher l'image, jusqu'à ce qu'elle disparaisse presque ! Tu sais, l'Art c'est comme un jeu ! Et j'utilise beaucoup de motifs pour masquer parfois le contenu érotique trop évident. Ici, il y a des motifs de fleurs venant du Japon (fleurs de Sakura, des fleurs de cerisier)... des motifs de Yantra Hindous, ainsi que de beaucoup de cultures différentes et du Monde entier !

JR : Oui, beaucoup de motifs différents !  

JPS : Et mélanger tous ces éléments visuels, c'est comme créer dans un creuset alchimique, une nouvelle matrice, dans lesquels, je mélange différentes informations, qui ne sont pas vraiment liées entre-elles mais que je peux attacher et relier ensemble, grâce à mon travail d'assemblage. Car un artiste c'est comme une sorte de colle, de liant. Nous collons des choses ensemble, nous assemblons des choses, afin de créer, je cite, "UN NOUVEAU MONDE" ! Un nouveau niveau d'information supérieur plus prégnant et diversifié que le Monde ordinaire. Je rassemble des éléments d'information et je les fusionne. C'est donc quelque chose de nouveau. Je mélange des choses, je suis comme un cuisinier ou, je ne sais pas, peut-être un chaman... Je fais et j'invente une nouvelle recette avec différents ingrédients et je les mets ensemble, avec différentes couleurs et différentes énergies. J'aime mélanger différentes énergies, parce que je m'ennuie un peu et j'en ai un peu assez de vivre dans une seule Culture (ce qui n'était pas le cas à New York). Je m'ennuie avec les Français uniquement, je m'ennuie avec les Américains uniquement et si jamais j'allais vivre chez les Asmats de Nouvelle-Guinée, je m'ennuierais probablement avec les Asmats aussi ! J'aime que les choses soient plus ouvertes d'esprit qu'avec une seule vision, c'est très important pour moi ! Parce que, d'une manière ou d'une autre, en tant qu'êtres humains, nous agissons tous de manière erronée ! Car, les Américains ont tort, les Français ont tort, les Australiens ont tort et même les Suisses ont tort etc. Personne n'a raison entièrement et personne n'a, ce que nous appelons en français "la science infuse" ou la sagesse infinie. Nous n'avons malheureusement pas le niveau supérieur de connaissance, de sagesse, de conscience supérieure et personne ne l'a...

JR : C'est le problème, c'est très clair !

JPS : Je veux dire que nous en avons une petite partie. Alors, je prends ces petites parties, ces bribes de sagesse et je les incorpore dans mon travail. Alors peut-être que je pourrais devenir plus sage ? Je ne sais pas, j'essaie en tout cas…

JR : Eh bien, je ne peux que répéter mon point de vue, qui est que nous devrions faire émerger, nous devrions élever notre niveau de conscience culturelle afin de mieux pouvoir comprendre l'Art et l'apprécier à nouveau, à sa juste valeur! Et quand nous voyons ce qui se passe dans le marché de l'Art contemporain, sans vouloir en rajouter mais et c'est cependant très important, que toutes les expressions artistiques, soient vraiment profondément interconnectées et essentiellement comprises, afin qu'elles puissent être appréciées par tout le public. Afin que le marché de l'Art ne s'effondre pas, tout simplement, parce que personne ne comprend plus ce que les artistes font vraiment de nos jours… 

JPS : C'est tout le paradoxe !

JR : C'est aussi parce que les artistes sont essentiellement "avant gardistes", en avance sur les autres, par définition de ce qu'est la conscience ordinaire dans l'ensemble de la société. C'est ce qui s'est passé au cours des 20 à 25 dernières années : l'appréciation de l'Art s'est faite principalement dans les Musées et les grandes galeries et les expositions internationales et plus tellement dans les petites galeries contemporaines publiques, je ne sais pas vraiment… c'est juste une idée ! C'est notre responsabilité, en tant qu'artiste et critique d'art, d'être conscients que nous devons ; je ne sais pas… Mais nous devons donc trouver un moyen, vraiment, d'augmenter la conscience du public, sans l'insulter et sans lui donner l'impression qu'il en a besoin ! Au long terme, le public comprendra, car cela fait partie de la réalité expérimentale dans laquelle nous nous trouvons, en tout cas dans ce Monde ci. Et cela devient de plus en plus effrayant à cause du manque de confiance, de créativité, qui se traduit par d'autres expressions psychologiques d'agression que nous avons aujourd'hui. Comment pouvons-nous les contrecarrer et se battre contre ce nivellement par le bas universel ?

JPS : Eh bien, personnellement, je fais tout ce que je peux, en tant qu'artiste, pour éveiller les consciences ! Mais il faut bien admettre et c'est ce que j'ai pu constater, que même si j'expose mes œuvres dans des lieux culturels importants et prestigieux, je n'obtiens aucun retour du public pour mon travail. Alors que faire ? C'était un peu différent avant mais maintenant, les seuls artistes qui ont une sorte d'influence sur le public, sont ceux qui vendent leurs œuvres pour plus d'un ou deux millions de dollars, sinon personne ne s'en préoccupe et personne ne regarde même plus les œuvres d'Art. Il y a peu de temps, un article a été publié dans La Gazette Drouot : LʼArt, valeur refuge, juin 2022, en France où il était dit que, les jeunes artistes vendaient, il y a seulement une dizaine d'années, pour leur premier prix en salle des ventes aux enchères, entre 5 et 10 000 $ USD (c'est le prix d'une de mes peintures). Et maintenant, c'est passé à 300 à 500 000 dollars pour leur toute première vente, dans la même maison de vente aux enchères ! C'est évidemment délirant, irrationnel et totalement injuste ! Donc, si par malheur, tu ne vends pas tes œuvres à ces niveaux de prix élevés, tu ne peux absolument rien vendre du tout ! Et ton travail n'est même pas regardé, ni apprécié, il disparait des radars totalement ! Même si je le montre largement sur mon site web et les réseaux sociaux... Personne ne s'y intéresse vraiment ni ne le regarde. C'est comme si il était invisibilisé et non accessible au public. Et que peut-on faire ? À part exposer dans une des dix meilleures galeries du Monde ou des grands musées ? Sinon, alors, personne s'y intéressera. On peut bien exposer dans une galerie, quelle qu'elle soit, à New Heaven, à Besançon, à Dijon, New York ou Zürich... tout le monde s'en fout, tu sais ! Et personne n'achètera ton art, parce qu'on pense qu'il n'a aucune valeur commerciale, en fait et c'est ça le vrai fond du problème. Et tu peux mettre tes prix à 10 000 $, à 20 000 $, à 200 000 $ etc. Si personne ne l'achète à ce prix donné, ton travail ne vaut rien, zéro ! Il n'a aucune valeur, ni marchande, ni même esthétique ou formelle. Moi, dans mon studio, je peux mettre n'importe quel prix, je ne vends pratiquement rien de toute manière, alors ? 

JR : Parfois, il vaut mieux carrément augmenter les prix le plus possible !

JPS : D'accord mais on ne peut pas vendre une œuvre pour un million de dollars à Besançon parce que déjà à 10 000 €, personne ne l'achète, en fait. Donc, même si je les mettais à 10 €, personne ne les achèteraient ! Les artistes sont donc tous profondément baisés (99% en France ne peuvent vivre de leur travail !) avec ce nouveau marché de l'Art contemporain financiarisé. Nous sommes totalement foutus, parce que toutes les galeries de taille moyennes ont fermé après le COVID. Ma petite galerie de Zurich a dû fermer car elle ne pouvait plus payer son loyer ! Tu sais, c'est une situation difficile aujourd'hui, pour les artistes, les galeristes et pour tous les créateurs, en général… les écrivains, les peintres, les musiciens, les poètes... C'est une situation terrible et déprimante dans laquelle nous nous trouvons actuellement !

JR : Oui, c'est un peu la question que je me pose, en terme de ce que je vois dans le public et dans les galeries et où va vraiment la richesse... Le problème, c'est que j'ai l'impression qu'elle va plutôt vers des œuvres d'Art simplifiées à l'extrême et surtout vendables et politiquement correctes.

LES ULTRA-RICHES N’ACHÈTENT QUE DES ŒUVRES D'ART HYPER SIMPLIFIÉES ET SURTOUT FACILEMENT REVENDABLES ET POLITIQUEMENT CORRECTES !

JPS : Bien sûr, les riches sont stupides et incultes pour la plupart donc, ils achètent tous de l'Art stupide et insipide, qu'ils n'ont pas besoin de comprendre et qui flatte leurs egos !

JR : Mais pourquoi personne ne contre-attaque-t-il pas ce marché ?

JPS : Mais tu ne peux pas t'opposer à l'hégémonie de Damien Hirst ! Il vend ses œuvres pour 2 ou 3 millions d'Euros, personne ne peut lutter contre ça ! Il est exposé dans tous les grands Musées. Je n'ai rien personnellement contre son travail ni contre celui de Jeff Koons mais ils sont présents dans le Monde entier. On ne peut pas s'opposer à ces artistes hégémoniques car ils ont la mainmise sur tous les beaux espaces d'exposition. Nous, les autres artistes, n'avons aucun accès à de tels espaces. J'essaie d'avoir un peu de visibilité sur le net, comme je te l'ai dit mais je n'obtiens presque jamais de résultats... même si j'ai environ 30 000 contacts sur LinkedIn. Parfois, j'arrive à dégoter un article ou également, je vais travailler maintenant avec une nouvelle galerie à Chypre, ce qui est une très bonne chose. Mais malgré ça, les retours sont encore bien maigres et on obtient très peu de récompenses eu égard à ce que l'on fait et de l'énergie fourni pour faire connaitre son travail…

JR : C'est le vrai problème du niveau de conscience et de culture du public.

JPS : Oui mais Van Gogh avait le même problème à son époque. Peut-être y a-t-il donc véritablement une déconnexion, un fossé abyssal, entre le moment de la création et le moment où le public découvre vraiment l'œuvre et sa signification profonde ? Il y a peut-être un décalage de 50 ans. Qui sait ? Je veux dire, c'est peut-être normal ? Je ne sais pas. Ca pose vraiment question et on peut en discuter très longuement en tout cas...

JR : Eh bien, comment aborder ce problème ? Ce dont je parle, c'est comme lorsque j'ai vu une galerie new-yorkaise qui a coordonné un programme d'expositions de Damien Hirst dans le Monde entier, dans trois galeries à New York et des galeries à Hong Kong, à Tokyo, à Milan et à Paris ouvertes simultanément, au même moment et dans le Monde entier… Lorsque je suis entré dans la galerie à New York, je me suis dit : "Qu'est-ce que c'est ? Ce sont des points, juste des points colorés !" Et quelle en est la signification ? Je veux dire qu'il s'agit, en fait, d'une hyper simplification à l'extrême d'une œuvre d'Art et du signifiant car, il n'y a plus, dans ce travail, de vraie signification. C'est comme juste un point, voilà, c'est absolument tout? Un point et puis rien ! C'est du nihilisme intellectuel. Ce n'est même pas un Vide où il y a, tu sais, cet espace vide dans lequel on peut naviguer intellectuellement. C'est le vrai problème que je vois et qui est relié à la philosophie, à mon avis, en terme de ce que Parménide d’Élée a dit : "L'être est, le non-être est, l'être et le non-être sont." Mais là, dans ses Dot Paintings, il n'y a rien. Qu'est-ce que le non-être ? Le non-être est comme un virus informatique qui dévore tout et détruit tout ! Et c'est aussi ce qui se passe dans la classe politique… En tout cas, c'est un vrai problème existentiel mais peu importe, revenons en à notre discussion…


PARTIE #3-6 | Voir la vidéo

JR : Parlons un peu de question technique. Peux-tu nous parler de ton processus de travail ? Et aussi parler de certains des problèmes techniques que tu rencontres lorsque tu peins et sérigraphies une œuvre en utilisant l'impression sur plexiglas, qui ressemble au processus du travail de la peinture sous-verre inversée ?

JPS : Eh bien, c'est compliqué mais j'en arrive à un point où je sais exactement ce que je fais. Tout est prêt pour mes impressions. J'ai l'habitude, tu sais. Bien sûr, c'est compliqué d'imprimer sur une surface aussi lisse et glissante que le Plexiglas, oui, c'est vraiment compliqué. Surtout pour le repérage et calage des images, parce que les panneaux de mes peintures sont divisés en deux parties. Je dois donc bien repérer et régler parfaitement les films et les cadres des écrans sérigraphiques, afin que l'image soit parfaitement imprimée. Mais ça fonctionne bien et maintenant, tout est au point ! 

JR : Oui.

JPS : Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, comme souvent, mon principal problème est de trouver l'argent pour travailler car j'ai besoin d'acheter de la peinture, des encres et du papier. Heidi Suter, ma galeriste de Zurich vient de m'acheter une peinture sur Plexiglas, ce qui me permet d'acheter des nouveaux matériaux pour travailler cette année et j'en suis très heureux et soulagé !

JR : Et tu travailles toujours avec de l'encre ou de la peinture ?

JPS : Principalement avec de l'acrylique, de la peinture acrylique pour artiste normale. 

JR : Ah oui, donc, ton travail est un processus d'accumulation de couches et d'ajout de plusieurs strates de peintures et d'images les unes sur les autres ?

JPS : Oui !

JR : En ce qui concerne l'impression, comment as-tu développé et trouvé cette technique ? Brièvement, car je ne veux pas, bien sûr, entrer dans tes secrets de fabrication…

JPS : Oui, bien sûr, à un moment donné, j'ai commencé la sérigraphie à Montréal, parce que je vivais à côté d'un atelier de sérigraphie de t-shirts où ils sérigraphiaient des t-shirts. À cette époque, je récupérais mes images dans le New York Sunday Times, je les découpais et je les photocopiais, ensuite, en couleur... Mais je voulais imprimer la couleur que je voulais et j'ai donc demandé au gars de m'exposer quatre cadres, puis j'ai commencé à imprimer une image à la fois. Et au sujet de la superposition, on se rend compte, quand on va dans la Nature, on sent que tout est absolument interconnecté et mis en étroite relation les uns avec les autres. Tu n'as pas, comme par exemple, un Arbre seul, tu n'as pas, un Oiseau seul, tu n'as pas non plus : une Rivière seule. Tout est connecté, entremêlé et enchevêtré et au même instant T. Je veux donc me débarrasser, en quelque sorte, du temps linéaire et de l'espace aussi. Je veux briser le temps et l'individualité, pour entrer dans une sorte de, je cite, d'ÉTERNITÉ. C'est pourquoi, j'utilise aussi, je l'ai déjà dit, des images glanées dans différentes Cultures. Elles proviennent, parfois, des Mayas, elles proviennent, parfois, des Hindous ou des Japonais. Si je les mets ensemble, j'obtiens un nouveau Monde en expansion, plus fascinant et plus transgressif que le Monde du quotidien ! C'est beaucoup plus intéressant et jouissif pour moi.

JR : Eh bien, dans le sens de ce que tu dis, c'est que le principe du temps est vraiment une invention humaine sur la Nature, en quelque sorte ou une tentative de lui correspondre. Mais avec, non pas le côté organique de l'esprit, mais plus du point de vue rationnel de la pensée : cerveau droit et gauche, etc. Ce qui est vraiment, à bien des égards, une imposition de la 'réalité humaine' sur le Monde naturel.

JPS : Oui, à cause des oppositions cerveau droit et cerveau gauche ! Je crois que je suis allé avec toi voir la conférence de Leonard Shlain à l'Open Center de New York à propos de son livre : L'alphabet versus la déesse, le conflit entre le mot et l'image, je crois que nous y étions allés ensemble ? Il parlait de l'opposition entre le cerveau gauche et le cerveau droit ? Et nous, les humains, ne pensons principalement qu'avec le cerveau gauche (rationnel : les mots et les chiffres) et le cerveau droit (intuitif : les images et les émotions) n'est pas tellement utilisé. C'est pourquoi j'aime tant les images mais j'aime aussi le texte ! Tu sais bien que je lis énormément de livres et je suis bon dans les deux disciplines… Mais en fait, pour moi, il y a beaucoup plus d'énergie vitale dans l'image, parce qu'elle est là, elle est manifestement présente instantanément et nul ne peut pas s'y soustraire ! Elle est devant vous frontalement et vous fusionnez en et avec elle ! J'ai vu dans une émission de télévision une interview d'une célèbre actrice du porno, Katsumi, qui parlait du livre qu'elle avait écrit sur ses nombreuses expériences sexuelles en tant que Star du porno. Et en fait, elle disait, dans son livre, qu'elle avait vraiment beaucoup aimé ça ! Et donc, elle était assise à côté d'un écrivain qui argumentait que : "Oui, les textes érotiques écrits sont beaucoup plus puissants que les images pornographiques ! Il suffit de lire le Marquis de Sade pour s'en convaincre ! L'écriture est beaucoup plus puissante, plus forte et plus vivante que l'image érotique." Mais je ne le crois pas. Je veux dire que je pense que nous sommes plus connectés à notre corps directement avec les images (nous pensons tous notre corps en image !) ! Et c'est pourquoi, la plupart des religions ont aussi utilisé tant d'images, comme dans les églises et partout ailleurs, parce qu'elles avaient besoin d'impressionner les pauvres gens et leur imposer leurs dogmes et leur morales anti-sexe !

JR : En fait, je dois dire qu'ici, dans ton atelier, tu as une sacrée bibliothèque qui est très fournie avec des romans en particulier. Et je vois que les livres et la littérature sont vraiment une sorte d'extension organique de toi. Je veux dire plutôt que le non-fictionnel où le rationnel et des réalité crues sont plus pleinement exprimés et développés. Mais ta bibliothèque contient, aussi, beaucoup de romans qui s'organisent, ainsi, de manière totalement organique, comme un corpus de souvenirs de lectures. D'après ce que je vois et ce que j'y peux déceler, cela signifie donc beaucoup, en terme d'une chose qui est importante pour moi en tant qu'écrivain, c'est la différence entre la définition et la description. Ce que j'essaie de faire, parce que je n'écris pas SUR LES RÊVES, j'écris DES RÊVES, littéralement… et j'essaie de les décrire plutôt que de les définir (comme dans son roman Fires Eternal Morning). C'est donc une chose à laquelle je m'identifie et c'est pourquoi je m'identifie aussi si fortement aux artistes et aux poètes également, bien sûr. En revanche, je ne m'identifie pas tellement personnellement aux auteurs réalistes. C'est la raison pour laquelle je me sens si fortement relié au Monde de l'Art et au travail que tu fais. Car la superposition des couches successives dans tes peintures, en particulier, est très attrayante, parce que c'est comme la superposition et l'entremêlement de multiples réalités conceptuelles et oniriques…

JPS : Oui, les rêves, l'accumulation et la superposition de rêves, oui.


JOHNES SE TROMPE UN PEU SUR MES LECTURES CAR JE NE LIS QU'ENVIRON 10% DE ROMANS ; LA PLUPART DES AUTRES LIVRES CONCERNENT L'ANTHROPOLOGIE ET LES LIVRES D'AUTEURS VOYAGEURS,  COMME ALEXANDRA DAVID-NEEL, ROBERT BYRON, DT SUZUKI, HEINRICH ZIMMER, PETTER MATTHIESSEN, LES UPANISHADS, LAFCADIO HEARN, JEAN MALAURIE - et sa superbe Collection Terre Humaine, ETC... 

JR : Rêves et expériences, surtout quand on pense en termes d'Eros… Dans le même ordre d'idées, j'aimerais comprendre pourquoi la dimension de tes peintures est toujours systématiquement la même de 105 x 105 centimètres depuis des années et s'intègre dans ton processus de création de tes œuvres d'art ? Comment cela se rapporte-t-il à tes objectifs de travail, intentionnels, conscients ou inconscients ? Plus précisément, pourquoi as-tu, tout simplement, développé ce format unique carré, ce module-ci ?

JPS : Oui, il se trouve qu'à Montréal, j'avais commandé des plaques de Plexiglas découpées pour peindre dessus, à l'époque, des sortes de colonnes verticales abstraites, peut-être cinq parties de 50 cm sur 50 cm. Et il me restait quelques chutes de petits rectangles, de ratio 1/2 et j'ai ainsi commencé à imprimer sur ces très petits morceaux de Plexiglas, sur ces restes, parce que je ne les utilisais pas pour mes peintures. J'ai d'abord peint sur le plexiglas et puis je les ai sérigraphiés au dos, à l'envers. Et lorsque je suis arrivé à New York et que j'ai continué à utiliser encore ces petits rectangles de 35 cm sur 17,5 cm, que j'utilise aussi pour encadrer mes peintures, qui sont toujours encadrées de 14 Plexiglas colorés, cadre que j'utilise toujours, aujourd'hui. Et à un moment donné, un vieil ami à moi, un peintre célèbre Germain Roesz, était venu à New York dans mon atelier et il m'avait dit devant ces petites formats : "Oh, Jean-Pierre, peux-tu imaginer l'impact visuel que cela pourrait avoir avec des images imprimées en plus grand format, plutôt que ces petits formats !" J'ai donc réfléchi et ai décidé de me lancer dans ce format plus grand de 105 x 105 cm (x3 fois plus grand). Et, à un moment donné, longtemps après, je me suis demandé ce qui se passait : pourquoi toujours ces carrés de 105 cm et pas 107 cm par exemple ? Or, il se trouve que ma taille est de 1,72 m et que le nombre d'or de mon corps est de 1,05 m, voilà, c'est tout simple ! La dernière fois, nous parlions de la façon dont les abeilles construisent leurs rayons et pour moi aussi, c'est comme une construction organique, que j'ai trouvée tout au long de ma pratique artistique. C'est donc, durant mon long processus de travail, que j'ai finalement trouvé cette connexion idéale. Ce format est donc parfaitement adapté à mon corps ! Je n'ai rien calculé et je n'ai pas utilisé le célèbre nombre d'or de Le Corbusier (1,618), mais en fait, je l'ai trouvé intuitivement.

JR : C'est donc récurrent, c'est toujours le même format ?

JPS : Oui, bien sûr, je n'utilise que ce format-là, pour les peintures sur Plexiglas, c'est tout !

JR : Donc, tu as fait tout cela de façon complètement organique et intuitive, spécialement pour créer une structure totalement unique ?

JPS : Oui, absolument, c'est ainsi que mon travail s'est organiquement construit et connecté à mon corps ; pensé aussi mais en quelque sorte, a posteriori ! Je n'avais pas consciemment pensé à le faire mais mon corps l'a fait de lui-même, automatiquement !

JR : J'aimerais, également, poser une question sur les harmonies des couleurs dans ton travail, d'où tu t'inspires pour tes couleurs ? Je ne te demande pas dévoiler tes secrets... enfin, cela dépend de la façon dont tu souhaites en parler, c'est à toi de voir.

JPS : Ce n'est pas très clair, je n'ai pas bien compris ta question ?

JPS : La résonance des couleurs, les harmonies colorées, comment ça fonctionne pour toi ?

JPS : Oui, je comprends.

JR : Il y a... les rouges et les bleus mais les rouges et les bleus, dans ton travail, fonctionnent ensemble ; ils sont harmonieux et non dissonants ! 

JPS : Je travaille toujours avec des harmonies colorées, oui, bien sûr.

JR : Oui, ils sont très justement harmonisés !

JPS : Mais Johnes, tu sais, j'ai 2 ou 3 maîtres pour la couleur. Bien sûr, c'est Matisse et Rothko, car j'aime vraiment les harmonies colorées de Rothko, de Bonnard ou de Soutine, bien sûr !

JR : Chaïm Soutine ?

JPS : Je l'aime beaucoup, surtout pour l'énergie de la vie qui est là, dans ses peintures. La vie est là, c'est comme du sperme germinal. Oui, c'est comme du sperme... Ses peintures sont éjaculatoires. Tu sais, c'est comme la jouissance, en fait. Et les couleurs doivent toujours être comme ça. Mais premièrement, dans mon travail, j'utilise, bien sûr, quelques références à l'Histoire de l'Art. Et ensuite, il y a surtout des références au Mexique, à l'Égypte, etc. Tu sais, quand tu vas dans des tombes en Egypte, souvent les plafonds sont peints en bleu foncé profond, avec des patterns d'étoiles et tu entres, ainsi, dans une dimension spirituelle totalement différente, grâce à ses couleurs mystiques envoûtantes et englobantes !

JR : Je suis désolé mais entrer dans quelle dimension ?

JPS : Dans une dimension INFINIE, dans le bleu absolu et les étoiles, le Cosmos quoi ! Tu peux également retrouver cela chez Yves Klein. Tu connais les travaux d'Yves Klein sur le bleu ?

JR : Oui. 

JPS : Car les couleurs modifient les ondes de notre cerveau. Et c'est ce que j'utilise dans mon travail. Je l'utilise aussi dans mon expérience à la Nature où parfois, j'y vois et trouve des pierres... Regardes ici, on a cette superbe pierre à la forme étrange et bizarroïde. Je l'ai trouvée, en faisant du canoë avec ma copine Olga, dans une rivière de Pennsylvanie et j'utilise souvent, dans mon travail, des pierres aux contours improbables.

JR : Parlons maintenant de cette pierre. C'est une pierre tout à fait remarquable et étonnante !

JPS : Oui, il y a une rivière, c'est en Pennsylvanie, près de Strasburg et ma petite amie Olga, avait de la famille là-bas. Nous sommes donc allés leur rendre visite plusieurs fois. En faisant du canoë avec ses neveux, nous nous sommes arrêtés au bord de la rivière et nous avons trouvé plein de pierres aux formes incroyables... J'en ai donc ramassé, je ne sais pas, peut-être 20 kg de pierres mais je n'ai pas pu toutes les ramener de New York jusqu'ici, en France. J'en ai donc choisi quelques-unes et j'ai dessiné celle-ci dans un tableau, qui se trouve juste derrière nous. Parce que cette forme, c'est comme une maison. C'est tellement étrange, c'est comme s'il y avait une sorte de mystère dans cette forme et aussi dans son poids...

JR : En fait, combien de pierres ont la même forme ?

JPS : Absolument aucune ! Je pense que c'est la seule car chaque pierre au Monde est unique, de même que chaque grain de sable l'est !

JR : Je vois dans tes peintures, une récurrence de celle-ci.

JPS : Oui, parce que c'est une forme qui n'existe nulle part ailleurs, sauf si on la trouve ! Il faut sortir, marcher, voyager, cheminer… pour trouver finalement : LA PIERRE !

JR : Accidentellement ? 

JPS : Non, pas du tout accidentellement mais par coïncidence, par conjonction ! Il faut donc aller là-bas, dans cette rivière spécifique à l'instant T, pour la trouver. C'est une rencontre chanceuse et spirituelle.

JR : Trouver des choses est un principe très intéressant aussi, comme des choses que tu peux accidentellement récupérées ?

JPS : Nous pouvons peut-être nous arrêter là.

JR : J'avais encore d'autres questions...


PARTIE #4-6 | Voir la vidéo

JR : Donc Jean-Pierre, en tant qu'observateur théorique, je peux voir et sentir les subtilités qui émergent des couches internes des motifs de tes peintures, souvent après les avoir regardé pendant une certaine période de temps, ce qui est très intéressant pour un collectionneur d'Art, parce que ce qui se passe, à bien des égards et dans beaucoup des œuvres de ma propre collection, c'est que j'y vois des choses différentes car au fil du temps, tes œuvres changent à chaque fois que je les regarde…

JPS : Oui, bien sûr.

JR : C'est génial, parce qu'elles sont subtiles. Après la première observation, les choses changent, ainsi que les sensibilités et les affinités des objets et des figures et chaque figure qui est représentée, comment dirais-je, est inclue dans un contexte visuel particulier ! En montrant des présences qui se rapportent à des questions érotiques et des relations entre les individus, qu'en penses-tu ?

JPS : Je vais te raconter une petite anecdote, qui date de l'époque de notre rencontre à l'Alliance Française de New York, en 1998 où j'avais 4 peintures exposées côte à côte (140 x 560 cm) dans le couloir d'entrée et la réceptionniste était assise juste devant mes peintures, pendant peut-être deux semaines…

JR : Oh, vraiment ?

JPS : Mon exposition Suspended Time est restée environ six mois et elle était à la réception et une fois, elle recevait un appel téléphonique tout en regardant ma peinture en même temps, sans que son cerveau gauche ne soit connecté. Elle aperçut alors qu'il y avait un cerf dans le tableau, qui la regardait fixement, elle sursauta et prit peur ! (elle m'avait dit à l'époque : "Vous m'avez fait peur M. Sergent avec votre peinture !") Elle avait donc besoin d'être déconnectée pour se connecter à mon tableau et de voir ce qu'il contenait réellement, tu vois ce que je veux dire ?


IL FAUT DÉCONNECTER SON CERVEAU GAUCHE (ANALYTIQUE ET RATIONNEL) POUR REGARDER PLEINEMENT L'ART (INTUITION ET ÉNERGIE) !


JR : Oui, c'est un point intéressant. Peux-tu l'expliquer davantage ?

JPS : Parce que si on regarde ma peinture avec le cerveau gauche uniquement analytique (c'est une théorie, qui est valable ou pas ?), on n'y comprend rien... On y verra peut-être quelques formes, comme des femmes, des bites, des vulves ou des nichons, des patterns mais on ne sera pas connecté à l'énergie vitale englobante qui est présente. Ou, comme dans la peinture dont je te parle, le cerf l'a regardée pendant 2 ou 3 semaines ou un mois, je ne me souviens plus très bien. Et une fois, à un moment donné T, alors qu'elle était assise devant le tableau, tout le temps, tous les jours de 9h à 17h…

JR : Et soudain, il y a eu une transformation ?

JPS : Non, pas de transformation du tout ! Parce qu'elle était au téléphone ! Elle s'était donc déconnectée de ses pensées, elle a alors vu et découvert, totalement surprise et subjuguée, LE REGARD DU CERF QUI LA FIXAIT, dans les yeux depuis des lustres !

JR : Elle s'est déconnectée de son analyse rationnelle ?

JPS : C'est ainsi que l'on peut entrer dans mon Art et mes peintures. Cela prend du temps ! Peut-être que cela vous prendra dix ans… Je m'en fous complètement ! Ce n'est pas mon problème. Non, ce n'est pas mon problème. Mais peut-être que ça pourrait aussi prendre, comme... quelques secondes... Et puis on rentre dans ma peinture, dans l'énergie, qui sait ?

JR : Oui, on peut entrer dans l'énergie. Mais il y a aussi un glissement dans une nouvelle manifestation, dans la perception d'un nouveau paradigme émergeant. Alors parfois, l'énergie est aussi un tunnel, un vortex, qui vous mène vers d'autres manifestations dans une autre période temporelle. 

JPS : C'est bien aussi mais avant tout, mon Art est comme un jeu ! C'est un jeu avec le spectateur, bien sûr, oui. 

JR : D'accord. 

JPS : Je fais des propositions visuelles : soit vous aimez, soit vous n'aimez pas. Ce n'est pas vraiment mon problème ! Mais je joue avec le spectateur, bien sûr, c'est un jeu ! Et pour dire la vérité, à New York, beaucoup de gens se tordaient de rire devant mes peintures ! "- Oh, whaou, une grosse bite !" Ou, "- Est-ce la Vierge Marie ? Non, ce n'est pas la Vierge Marie mais peut-être qu'elle s'appelle Marie. Qui sait ?" Les Français sont bien trop sérieux en matière d'Art ! Mais nous portons tous avec nous, les stigmates de nos propres cultures, de nos propres tabous moraux et j'ai la chance d'être, comment l'exprimer clairement ? Je peux nager et naviguer dans de nombreuses cultures différentes… C'est ce qui, je crois, me rend un peu spécial et je suppose que c'est aussi ce qui rend mon Art si fort et différent !

JR : C'est de cela dont je parle, de la profondeur de ton travail. C'est même une simplification que d'appeler cela "profondeur". C'est comme un glissement de nébuleuses et des formes qui changent sans arrêt… Parfois on devine un visage, parfois un objet, parfois une forme de nuage, parfois il n'y a pas de définition du tout mais une PRÉSENCE ! Et c'est là où réside toute la beauté de tes œuvres.

JPS : Oui, c'est tout à fait vrai, la présence, oui !

JR : Tu sais, le côté du cerveau analytique qui veut définir quelque chose n'a jamais raison, même s'il peut réussir momentanément. Mais le truc avec l'Art, quand l'Art est vraiment réussi, c'est qu'il change sur une période de temps, même si c'est le même travail que l'on regarde. Même une peinture minimaliste peut parfois changer…

JPS : Exactement, oui, tout à fait, bien sûr...

JR : On pense savoir ce que l'on regarde et puis, vous le regardez un mois plus tard et vous vous dites, oh, je vois quelque chose de totalement différent !

JPS : Comme les peintures d'Agnès Martin. Eh bien, elle est doué, elle est géniale, ces peintures changent tout le temps !

JR : Alors, tu parles aussi d'œuvres polyphoniques dans  les Arts extra-européens, qui sont créées dans les cultures artistiques 'premières' ou 'racines' ? Quel est ton rapport à cela ? Tu en parles beaucoup dans tes écrits théoriques et c'est un de tes principaux thèmes de ton travail et ce pour quoi tu te bats ?

JPS : Parce que, tout d'abord, cela peut découler d'un manque évident de sens, car l'ensemble des choses, de nos jours, ne m'apporte pas assez d'énergie. Par exemple, nous avons vu beaucoup de peintures européennes, hier au Musée Courbet mais d'une certaine manière, je me sentais encore vide après notre visite. Les peintures ne m'avaient pas totalement nourri. Cependant, je peux dire que Courbet me nourrit d'une autre manière, de par son exemple d'artiste libertaire, anarchiste et frondeur, tout au long de son expérience de peintre et par ce qu'il a accompli comme œuvres. Il peignait des femmes normales et ordinaires (pas dans des scènes mythologiques désuètes). il voulait peindre le quotidien, les Arbres, la Nature... et tout cela, n'est pas dénué de poésie et m'impressionne fortement ! Mais je ne suis pas tellement impressionné par l'objet même de la peinture (huile sur toile) et par le procédé de la peinture en général. Parce que, pour moi, une peinture, c'est toujours un choix étriqué, de facto, une vision étroite et rétrécie, sur le Monde et la société. C'est comme penser 'à plat', 'au carré', avec un focus unidimensionnel et égocentrique. Bien sûr, que je travaille moi-même avec des formats carrés mais j'espère, vraiment, pouvoir échapper à cet "esprit carré". Il est vrai que je n'aime pas trop ce que j'appelle souvent l'objet "peinture fenêtre". C'est pour cela que j'aime tant Pollock. Parce qu'il sort complètement du cadre traditionnel imposé par la Peinture.

JR : Qui ? 

JPS : Jackson Pollock, il sort du cadre de la toile, il est directement dans le Magma (Magmatic materia), dans l'Inconscient et dans l'Univers ! C'est comme un état de confusion de l'esprit... une extase ! Et il connaissait aussi très bien le travail des artistes indiens Navajo, qui dessinent sur le sable (comme les mandalas tibétains), il s'en est inspiré et il peignait aussi sur le sol. Quant à moi, je travaille aussi à plat. Je ne peins pas verticalement comme sur un tableau de chevalet traditionnel. Je peins toujours sur le sol, j'ai les pieds sur Terre, je suis connecté quand je peins et je tiens compte des quatre directions : Nord, Sud, Est, Ouest, c'est comme si j'étais dans une DANSE COSMIQUE. Je danse avec mes peintures et mes images.

JR : Hier, comment appelle-t-on la Ville où nous sommes allés ?

JPS : Ornans !

JR : Nous sommes allés à Ornans au Musée Courbet, qui était très intéressant, tout simplement merveilleux. Et je me disais qu'une des choses qui a été soulignée à plusieurs reprises dans les cartels, c'est la façon dont il a, en quelque sorte, bousculé et révolutionné les conventions de son époque ?

JPS : Exactement, parce qu'il n'a jamais peint les scènes mythologiques habituelles que les autres artistes peignaient. Car à son époque, il y avait beaucoup de peintres 'pompiers'. Ceux qui peignaient des scènes mythologiques et d'antiquité surannées et dépassées. Parce qu'il y a toujours eu le problème de la représentation du corps et de la censure morale… avec et c'est toujours vrai aujourd'hui, la représentation du CORPS NU et des organes sexuels (vulve, bite, etc.). Car, à l'époque on ne pouvait pas peindre une femme nue en dehors du cadre d'une scène mythologique ou religieuse ; comme ça, sans raison ! Il fallait donc, alors, une référence, un prétexte, un repère moral... Ainsi, Courbet n'a donc jamais peint de scènes mythologiques. Il a peint des femmes 'normales', ses maîtresses, ses petites amies, ses modèles etc...

JR : Mais il l'a quand même intitulé : "L'Origine du Monde" !

JPS : C'est très anecdotique ! Peut-être que le tableau a été nommé ainsi longtemps après qu'il l'ait peint ! Qui sait ? On s'en fout (ce n'est qu'une chatte de femme après tout!) Ce n'est pas important ! Ce n'est pas le problème. Mais de toute façon, le Monde a une origine bien sûr, que vous croyiez à la mythologie ou non ou à la religion ou non. Il y a une origine qui est le Point Bindu, le Big Bang cosmique. Cela n'a donc absolument rien à voir avec les religions. Le point de départ, l'origine du Monde et de l'Univers n'a rien à voir avec les religions... Les monothéismes ne sont apparus qu'il y a environ 2 000 ans. Cela ne signifie rien pour personne. Le travail de Courbet, en tant que peintre, consistait à peindre des paysans, des femmes qui se baignaient dans la Loue, elles se baignaient nues, tout simplement. Il peignait sa propre réalité... Et, peut-être que ces femmes n'étaient pas 'belles' comme on pourrait s'y attendre ou les imaginer ou comme nous le disons : "L'Art, ça se doit d'être beau !" C'est là que Courbet est vraiment important car, il nous libère de cette stupide idée de la beauté antique et conventionnelle !

JR : C'était une présence mais ce n'était pas nécessairement beau ?

JPS : Alors, je veux dire ceci : la beauté est toujours liée à une culture particulière, à un milieu social ! Comme la culture bourgeoise ou le "bon goût", tu sais, ça ne vient jamais de nulle part… C'est très codé et la beauté n'existe pas en et par elle-même, c'est toujours un concept, une référence, une idée importée à son sujet ! 

JR : Oui. 

JPS : Ce que toi, tu trouves beau, d'autres le trouveront vraiment laid et dégoûtant ! Le concept de beauté n'est pas universel !

JR : Même au niveau de la perception d'une autre personne. Tu sais, parfois on dit "Oh, cette femme est belle très belle !" Et quelqu'un d'autre dira qu'elle n'a rien de particulier ! C'est donc subjectif…

JPS : C'est subjectif, bien sûr ! Et pour en revenir à ta question : je m'intéresse beaucoup aux (entre guillemets) "Art premiers" car, comme tu peux le voir ici, il y a beaucoup de masques du Mexique et du Guatemala, parce que ces artefacts parlent des liens et des interconnexions existant entre les humains et les animaux. Ils parlent de ces liens là et des esprits aussi ! Nous vivons tous avec des esprits autour de nous...


QUELQUES PHOTOS &
MASQUES DU STUDIO DE JPS
PROVENANT DE CULTURES & 
CIVILISATIONS AUTOCHTONES
& NON OCCIDENTALES


Mais d'une certaine manière, ce n'est plus le cas... Parce que nous, l'humanité dans son ensemble, nous sommes en train de tout tuer. Notre Terre est en train de se faire tuer (matricide) et toutes les énergies et les espèces naturelles ont disparu pour la plupart. C'est pour cela que j'ai écrit ce texte sur Bartleby. Parce que l'été dernier, avant la sécheresse, je faisais du canoë tous les quinze jours, quand je rends visite à ma mère à Morteau, dans les montagnes du Jura, dans un endroit qui s'appelle "Les Bassins du Doubs" et il y a une grande chute d'eau après : "Le Saut du Doubs"... En fait, Courbet l'a peint ! Il y a un tableau de lui au Musée Courbet et le paysage est vraiment grandiose. Mais l'année dernière, en 2023, il n'y avait plus d'eau du tout… de début juillet à fin octobre... 

JR : Donc, la rivière était complètement asséchée ? 

JPS : Oui, complètement. C'était comme un petit ruisseau de rien du tout, l'eau avait disparue ! Et ce sont, de facto, des millions de mètres cubes d'eau qui ont disparus, qui se sont évaporés, l'année dernière ! Alors on se retrouve devant cette réalité désastreuse et on se dit : Qu'est-ce qui se passe ici de nos jours ? Je veux dire, le grand chaman Sioux Black Elk l'a bien dit dans une interview, où il parlait de la disparition de l'Arbre Sacré, parce que l'Arbre Sacré, c'est l'endroit où l'on peut parler aux esprits, aux quatre points cardinaux et aux ancêtres. Mais si les tribus disparaissent avec leurs connaissances du sacré, l'arbre disparaît aussi et vous restez seul, tout seul. Vous ne pouvez plus communiquer avec personne, ni avec les morts... Vous ne pouvez plus parler à personne, on est vraiment tout seul dans une solitude incommensurable. Je pense que nous arrivons peut-être à un moment de l'histoire de l'humanité où nous sommes les plus seuls, les plus isolés… malgré nos fulgurants progrès techniques, nous pouvons, peut-être, nous connecter les uns aux autres grâce à Internet, d'un bout du Monde à l'autre mais nous sommes tous déconnectés des membres de notre propre famille et de nos amis ! Parce que nous faisons des affaires, du business (homo economicus) et c'est tout ! C'est juste que nous sommes baisés ! Nous sommes vraiment profondément baisés, je pense ! Avec l'argent comme seul bien de valeur, on va avoir de sérieux problèmes pour survivre en tant qu'humanité, oui, je le crois !

JR : C'est le dilemme dans lequel nous nous trouvons. Donc je pense qu'il y a là, une vraie une question et ma prochaine question sera liée à ce sujet.


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JR : D'accord Jean-Pierre, j'aimerais revenir sur un point : nous avons parlé de la déesse égyptienne Isis et de ce que tu en as écrit au sujet de ces présences mythiques qui explorent les profondeurs insondables de l'intimité… et j'ai trouvé cette perception très intéressante. Et je voudrais essayer, je ne te demande pas, par contraste, cependant mais comment les théories et les philosophies de John Cage, avec son idée du Silence aussi, ont également à voir avec le Vide… Le Vide en lui-même, ce qui se trouve à l'intérieur du Vide, du Silence. Et ce qu'il a fait, c'est d'élaborer, tout d'abord, une sorte d'approche d'un Silence Absolu, si une telle chose existe ? Deuxièmement, qu'il y a une harmonie organique dans la structure même de la vie humaine et du vivant, qui fait qu'il n'y a jamais de tels silences à proprement parler. Je ne veux pas entrer dans cette histoire trop en profondeur mais une chose curieuse qu'il a raconté très brièvement, est qu'il est allé dans la chambre anéchoïque du MIT (Massachusetts Institute of Technology) et entrant dans la chambre, le technicien a dit : "« C'est un endroit où il n'y a absolument aucun bruit ! » Et au bout d'un moment, il y est resté longtemps, il en est sorti et est allé voir l'ingénieur et il lui a dit : « Mais ce n'était pas complètement silencieux !  » L'ingénieur lui a alors demandé de décrire ce qu'il avait entendu et il a répondu : « Eh bien, J'ai entendu deux sons ! » L'ingénieur lui a alors répondu : « Eh bien, le son aigu que vous avez entendu était votre propre système nerveux en fonctionnement et le son grave, c'était votre propre circulation sanguine » donc, vous ne pourrez jamais y échapper, sauf si vous n'êtes plus dans le Monde et que vous êtes à l'extérieur du Vide. Et puis, il y a le Vide lui-même, en tant qu'entité et énergie propre ; qu'est donc le Vide à l'intérieur d'un Trou Noir ? En relation de ce dont nous avons parlé précédemment ? Le 'non-être' ? Cela concerne donc l'histoire à bien des égards et la manière dont nous comprenons, qu'elle est la confrontation entre l'individu et l'Histoire. Et tes lectures de l'humaniste Norman O. Brown et son travail de développement des différents aspects de la psychanalyse, de l'histoire elle-même (La vie contre la mort, 1959). Je ne sais pas si tu voulais en parler ?

JPS : Non, pas vraiment, parce que vous m'aviez recommandé, Henry et toi, la lecture de Norman O. Brown, j'ai aimé le lire (ainsi que Love's Body) mais ce ne sont presque que des textes extraits de citations de différents écrivains importants, mélangés ensemble, il cite principalement Freud. Et par exemple, aujourd'hui, j'ai essayé de trouver un extrait écrit par lui... Et j'ai lu un beau passage mais il était, en fait, écrit par Henry Miller ! Alors, tu sais, je n'ai pas besoin de ces citations mais je comprends ce que tu veux dire quand à l'importance de ses textes eût rapport au sexe et au corps. Et je tiens aussi, ici, à dire au public que tu nous viens directement de New-York et que tu as rencontré beaucoup de membres de la Beat Generation. Tu as rencontré John Cage, tu as rencontré Allen Ginsberg… Et je ne sais pas si tu as aussi rencontré Jack Kerouac ? 

JR : Non, il était déjà décédé. 

JPS : Oui mais tu as rencontré tous ces gens importants et je dois dire qu'il est très important, pour moi, que nous en parlions ensemble. Tu avais d'ailleurs suivi des cours avec John Cage ? Tu avais suivi des cours avec lui ?

JR : Non mais mon ami en a suivi…

JPS : Henry, oui, c'est une rencontre comme par ricochet.

JR : Oui, en quelque sorte, par ricochet mais assez intense parce qu'il était vraiment très impressionné par ses enseignements.

JPS : Oui, c'est compliqué parce que, pour ce qui est de John Cage, j'aime beaucoup ses œuvres d'art et ses écrits aussi. Parce qu'entre-autre, il faisait des dessins sur le sol avec de grands et longs pinceaux sur des énormes papiers et il peignait avec un grand pinceau et de l'encre de Chine. C'était comme une métaphore du temps qui passe et, bien sûr, à la fin, il n'y a plus d'encre du tout ! Comme à la fin de notre vie, il n'y a plus de Vie ! Tout disparait… C'est une véritable leçon de vie. Et il travaillait aussi avec des pierres, des pierres comme celle-ci… 

JR : C'est une pierre de Mookaïte.

JPS : Il m'a aussi donc donné l'idée de travailler plus en affinité avec des pierres et il avait tracé à l'encre, les contours de la pierre. Il avait d'ailleurs été très impressionné par le temple japonais de Kyoto, le Ryōan-ji (Le Temple du Dragon en Paix), un jardin de pierres (1450).

JR : Cette pierre est presque figurative d'une certaine manière : tête, corps, queue...

JPS : Oui, c'est vrai !

JR : C'est une pierre très intéressante et très belle...

JPS : Je suis donc intéressé très fortement par tous les concepts de Cage mais je ne suis pas musicien tu sais, alors je ne peux pas vraiment utiliser ces concepts dans mon art mais je les respecte et ils m'inspirent  profondément...

JR : Mais en termes d'harmonies, c'est vrai, qu'on les retrouve dans ton travail ! Et en termes d'expression des couleurs ou de résonance des couleurs, on les retrouve  aussi.


J'AIME QUE LE VIDE SOIT PRÉSENT ET C'EST LÀ QUE TOUT SE CRÉÉ, COMME DANS UNE MATRICE !


JPS : Oui, j'aime que le Vide soit présent en tant que réalité des possibilités qui peuvent naître et surgir ! Car c'est là, dans ce Vide, que tout se créé. Nous avons parlé du Point Bindu. C'est le vrai point de départ du Cosmos, bien sûr et aussi de chacun d'entre nous...

JR : Eh bien, c'est relié à ce que tu as dit à propos du Bartleby d'Herman Melville mais comment le prononce t'on ?

JPS : Je dis "Bartlebi" ou "Bartleby" mais personne ne connaît vraiment la véritable prononciation ?

JR : Cela n'a pas vraiment d'importance de toute façon, car il s'agit d'une influence importante pour toi ! Et ce qui est intéressant, c'est ce que le philosophe et critique Gilles Deleuze, qui a compris la situation particulière de Bartleby, il dit de lui :

Gilles Deleuze :

« Bartleby est un détonateur et un révélateur dans son environnement, en particulier dans un bureau de New York au milieu des années 1800. Il n'est pas un homme malade, comme le perçoivent ses collègues mais le médecin (le chamane) d'une Amérique malade. »

 

Tu relies donc Bartleby à l'ethnocide des Amérindiens des plaines ?

JPS : Oui, totalement !

JR : Et la rencontre avec le mouvement des colons américains, qui a vraiment détruit leurs cultures. Et aussi, avec la trahison des politiciens américains dans leurs traités avec les Indiens d'Amérique, ce qui a d'ailleurs donné lieu à cette expression pertinente : 'Indian giver', qui semble inoffensive mais quand l'on comprend vraiment ce qu'elle signifie, c'est juste que  lorsque les institutions donnent quelque chose aux Indiens, cela ne veut pas dire que c'est donné gratuitement et pour toujours ! Et tu voulais aussi parler des idées de Tarkovski ?

JPS : Pour l'instant, je vais essayer de répondre d'abord, tranquillement et uniquement, à propos de Bartleby, le scribouillard, si cela ne te dérange pas ! 

JR : D'accord, alors, vas-y, je t'en prie. 

JPS : J'ai donc écrit ce texte il y a environ deux ans (en 2022). Je pense que ce cher Bartleby travaillait dans un cabinet d'avocat à Wall Street. On ne sait pas vraiment s'il est avocat, notaire ou courtier en banque. Et Bartleby, son clerc, squattait le bureau parce que de facto, il n'avait aucun autre endroit où loger, il était comme un sans-abri et il restait toujours dans le bureau, où il vivait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. En fait, Il dormait sous son bureau et il ne mangeait uniquement que des biscuits au gingembre. Il était vraiment comme un ermite, un moine. Et son histoire, très touchante, m'a rappelé celle d'un ami, un personnage hors du commun, d'il y a bien longtemps. Car, lorsque je vivais dans une ferme (La Fauconnière), à environ 80 km d'ici (1981 - 1991), j'y ai aussi vécu tout seul, comme un ermite pendant dix ans. Et un de mes amis, Auguste, l'ermite, vivait tout près de là, dans une maison, tout seul. Il avait été pompier à Paris. Il a eu une belle vie là-bas et il avait décidé de se retirer pour s'occuper et garder cette maison (un ancien relais de diligence), comme un gardien de phare au bord de l'océan ! Nous nous parlions presque tous les jours car il venait toujours me rendre visite avec sa fidèle colombe blanche, qu'il chérissait tant, portée sur son épaule.  

JR : Un bel oiseau, oui, une Colombe blanche ?

JPS : Oui, une Colombe blanche et en fait, c'était le seul humain que je rencontrais quotidiennement et nous avons fini par devenir des amis très proches. Malheureusement, à la fin de sa vie, il finit exactement comme Bartleby, dans un hôpital psychiatrique de Besançon. Car, dans ce livre-ci, de même, l'avocat n'a pas eu d'autre choix que de l'hospitaliser, quelque part, parce qu'il ne voulait plus sortir de son bureau. Même s'il lui avait fait des propositions pour d'autres emplois en lui demandant : « Bartleby, veux-tu voyager en Europe avec des riches amis à moi ? » Mais Bartleby lui avait toujours répondu avec sa très célèbre devise : « Je préférerais ne pas voyager ! » ou « J'aimerais mieux ne pas le faire ! » C'est sa phrase fétiche, son leitmotiv mondialement connu, la réponse : « Je préférerais ne pas le faire ! » Et je pense que c'est très bien de formuler les choses ainsi devant les injonctions surnuméraires du Monde et de la société ! Et je me dis que les artistes sont peut-être comme lui : « Nous préférerions ne pas dealer avec cette putain de merde du Monde », tu saisis ? Il y a donc, entre ce texte de Melville et mon histoire personnelle, beaucoup de liens profonds et de correspondances, entre le fait d'être un véritable artiste ou d'être un ermite vivant seul dans la forêt, tout est évidemment lié ! Et d'une certaine manière, je me sens, aussi, comme un "ermite" dans mon atelier, je ne sais pas si c'est le même mot en anglais ?


"I WOULD RATHER NOT !" (« JE PRÉFÉRERAIS NE PAS LE FAIRE ») EST LA CÉLÈBRE PHRASE RÉPÉTITIVE DE BARTLEBY !


Parce que, de facto, je travaille, aussi, tout seul et d'avoir connu mon ami Auguste et que quarante ans plus tard, que je lise et découvre ce roman avec les commentaires dithyrambiques et super intelligents de Gilles Deleuze, sur le fait et l'importance d'être un artiste, d'être un résistant, un frondeur, d'être un créateur, d'être un outsider, d'être un chaman... Je vais lire quelques passages de ce livre, si tu veux bien ; ah le voilà Bartleby ! À un moment du livre, le propriétaire, l'avocat, qui est d'ailleurs un type vraiment plutôt sympathique et qui essaie de l'aider en lui proposant : « Qu'est-ce que tu veux vraiment faire maintenant ? Tu veux manger quelque chose ? » « Non, non, je préférerais ne pas manger ! », il dit à propos de Bartleby :

« Et c'est ici que Bartleby habite ; unique spectateur d’une solitude qu’il a vue toute peuplée - nouveau et innocent Marius broyant du noir sur les ruines de Carthage ! »


Nous entrons, alors, dans une scène historique et mythologique, comme celle où l'on a vu le Monde disparaître, se dissoudre, s'évanouir et s'effondrer devant soi, comme Gaius Marius en son temps, ou le 11 septembre 2001 à New York. Melville parlait des génocides indiens, des bisons et des baleines et tout le monde était tué à l'époque. Et aujourd'hui, c'est encore dix fois pire ! Car même les vers de terre et les plus petits insectes innocents sont tués et disparaissent… Chaque espèce, chaque singulière et unique 'Culture Première', tout le monde est tué par l'incommensurable bêtise et cupidité humaine ! 

« Pour la première fois de ma vie, une accablante et poignante mélancolie s’empara de moi. Jusqu’alors, je n'avais jamais éprouvé qu'une tristesse non dépourvue de charme. »

Tu sais, parfois nous sommes un peu romantiques et essayons de partager la misère des autres, nous aimons regarder les pauvres gens sur les trottoirs, CES PAUVRES... Mais là, l'avocat ressent vraiment la singulière souffrance et solitude de Bartleby ! 

« Mais le lien de notre commune humanité me jeta dans une irrésistible consternation. Fraternelle mélancolie ! Car Bartleby et moi étions tous deux fils d’Adam. »

 

Oui, nous sommes tous nés d'Adam, nous sommes tous frères et sœurs, d'une manière ou d'une autre ; nous nous voyons tous être détruits, devant nos yeux et c'est effrayant ! Je ne sais pas si l'on sait vraiment combien il y a de sans-abri à Paris ? Ça devient très inquiétant ! Tu le verras quand tu y iras la semaine prochaine… C'est complètement fou et démesuré ! Et là, à la fin du livre, Melville raconte la dernière visite que l'avocat est venu rendre à Bartleby à l'hôpital ou la prison, on ne sait pas vraiment si c'était un hôpital ou une prison ?  :

 

« "Bartleby !" Alors, Bartleby, répond :

- Je vous connais, dit-il sans se retourner - et je n'ai rien à dire. » 

 

Tu vois, à force d'en avoir marre, il en a eu marre du Monde entier !

« - "Je sais où je suis !", répliqua-t-il, mais il ne voulut rien dire de plus et je le laissai. » 

Et puis à la fin, un peu plus loin, après qu'il ait refusé de se nourrir pendant plusieurs semaines et que l'on découvre son cadavre allongé sur un banc dans la cours :

La face rebondie du fricotier me scrutait :
- Son déjeuner est prêt. Il va pas déjeuner aujourd'hui non plus ? Est-ce qu’il vivrait sans manger ?
- Il vit sans manger, répondis-je, et je fermai les yeux.
- Et, il dort, pas vrai ? 
- Avec les rois et les conseillers, murmurai-je. »


Bartleby dort avec Dieu, il est parti ! Il est heureux là où il est, parce qu'il n'y avait plus aucun combat intéressant à mener... Pas de combat, plus de jeu à gagner, c'est tout, c'est fini ; il jette les armes et s'en va de ce Monde ! Et je pense que nous entrons factuellement (nous les êtres humains) dans une période comme celle-là, c'est vrai ! Les combats sont multiples et colossaux… Il se passe trop de choses simultanément, tout le temps et partout dans le Monde en même temps… Partout, il y a des guerres... Par rapport à la Seconde Guerre Mondiale, c'était dur et horrible mais nous savions, en tant qu'humanité, qu'à un certain moment donné, la guerre finirait. Mais aujourd'hui, nous savons que la Nature elle-même (notre Mère nourricière), va être détruite et est détruite, chaque jour, à chaque instant. Le climat est en train de changer d'une manière vraiment angoissante et démesurée. Alors, que pouvons-nous faire ? C'est une grande question insoluble ! C'est pour cela que j'aime tant ce grand fou de Bartleby car c'est un magnifique combattant de l'impossible !


QUELQUES BONS CONSEILS DE DEUX MAÎTRES ANCIENS

 

ALEXANDRA DAVID-NÉEL / DEUX MAÎTRES CHINOIS

Mo-tse : « Parents, maîtres et rois ne sont pas ceux qu'il faut prendre comme modèles. 
Mais quel est le modèle à l'imitation duquel on peut établir des lois ? 
C'est le Ciel qu'il faut imiter, le Ciel agit universellement, sans partialité, ses dons sont généreux, son action permanente, toujours égale. 
Dans tout ce que nous faisons, nous devons prendre modèle sur le Ciel. »


– POÈME & BONS CONSEILS DE SAINT SÉRAPHIN DE SAROV, MOINE ET MYSTIQUE RUSSE (1754-1833)

« Bois de l'eau là où le cheval boit.

Un cheval ne boira jamais de la mauvaise eau.
Fais ton lit là où le chat dort, tu te reposeras tranquillement.

Mange des fruits qui ont été touchés par un ver, ils sont les plus sains.

Ramasse sans crainte des champignons là où les insectes se posent car il n'y a pas de poison.


Plante un arbre là où la taupe creuse car c'est une terre fertile.


Construis une maison où les vipères prennent le soleil, la glace n'y viendra pas.


Creuse un puits où les oiseaux se cachent de la chaleur, tu y trouveras de l'eau.


Endors-toi et lève-toi en même temps que les oiseaux, tu récolteras les grains d'or de la vie.


Mange plus de vert, tu auras des jambes solides et un cœur résistant, comme l'âme des arbres.


Regarde plus souvent le ciel et parle moins, pour que le silence entre dans ton cœur, que ton esprit soit calme et que ta vie soit remplie de paix. »

 

JR : Il est question de mélancolie ; la mélancolie, c'est la description médiévale ou antérieure de la dépression. C'est la même chose que nous appelons dépression aujourd'hui ! Ils l'appelaient mélancolie alors. Et il y avait des tentatives pour trouver des moyens d'y remédier par le biais d'élixirs de plantes etc.

JPS : Oui mais certains romantiques étaient vraiment heureux avec leurs mélancolie...

JR : Il y a un charme à la mélancolie cependant !

JPS : Oui, Comme dans les œuvres de ce peintre allemand Caspar Friedrich.


LES ARTISTES ROMANTIQUES DES 18 &19 SIÈCLES :
- écrivains : Huysmans, Nerval, Leconte de Lisle 
- peintres : Turner, Moreau
- poètes : Shelly, Pouchkine, etc.


JPS : Arrêtons-nous là et puis, nous ferons une conclusion…


PARTIE #6-6 | Voir la vidéo

JR : Jean-Pierre, tu voulais parler de Tarkovsky ?

JPS : J'ai une phrase à citer de lui, bien sûr. Donc oui, Johnes, c'est à toi :

JR : Dans tes Notes 2023, tu fais également référence au livre de Tarkovski intitulé Le Temps scellé, que je ne connais pas. Et je suis très curieux parce que son cinéma est très intéressant, y parle t-il plutôt de son œuvre cinématographique ?

JPS : Il s'agit de ce qu'il pense lorsqu'il tourne des films (sur l'Art, la Littérature, le temps, les films, les acteurs...). J'aime beaucoup ses films. Même si cela fait très longtemps que j'ai vu un de ses films, il est vraiment intéressant en tant que créateur... Il parle des livres, de la Nature et de la Vie... En fait, j'ai quelques citations de lui à te lire.

JR : Je pense à son travail en termes 'situationniste'. Comment les gens interagissent entre eux, même dans des environnements comme dans le vaisseau spatial, où l'un des membres de l'équipage pense qu'il voit sa femme décédée, à bord du vaisseau, avec lui.

JPS : De quel film parles-tu ? Quoi qu'il en soit, ce qui est le plus important dans les films de Tarkovski, c'est qu'ils sont toujours filmés dans la Nature, la plupart du temps. La Nature, avec le Feu, l'Eau, les Arbres, tous les éléments primaires sont là ! L'amour et la mort aussi ! C'est un peu comme Terrence Malick dans Le Nouveau Monde (2005), qui est aussi un cinéaste très célèbre et très spirituel. Alors, Tarkovski a dit :

« Quand je parle de l'aspiration au beau (nous en parlions à l'instant), de l'idéal comme but ultime de l'Art, qui découle d'un désir ardent pour cet idéal, je ne suggère pas un seul instant que l'Art devrait fuir la  "saleté" du Monde, au contraire ! » Andrei Rublev, Tarkovsky 


Ce sont des phrases très importantes. Tu sais, cela va exactement dans le sens du travail que je fais, parce que la plupart des gens pensent que la sexualité est la "saleté du Monde". Mais il faut en parler, si l'on veut faire de l'Art véritable, il faut utiliser de la merde ! Il faut utiliser de la pisse ! Du sexe et de la mort... ! Et en fin de compte, il n'y a pas d'autres solutions ! C'est pourquoi, l'œuvre de Jérôme Bosch est si importante, car il parle de tout cela ! Et aussi surtout, il y a beaucoup d'humour dans ses peintures ! On ne peut pas juste se contenter d'accrocher simplement un tableau au mur, comme une décoration et c'est tout ! Goya a peint Les cannibales (MBAA de Besançon), cela signifie quelque chose, c'est une réalité humaine, culturelle et sociale quelque part ! Et les livres que Tarkovski a écrits sont aussi très intéressants car ils signifient aussi une réalité…

JR : Je pensais à son film de science-fiction Solaris où Tarkovski aborde donc les aspects de Thanatos, de la mort et de la sexualité ; la mort, la vie et la persistance de la continuité de la mémoire.

JPS : Et les souvenirs, également… les souvenirs de son enfance.

JR : D'accord, c'est très important maintenant ! Parce que les choses en arrivent à un point où le Monde devient totalement existentiel.

JPS : Oui.

JR : D'un instant à l'autre, on ne sait pas s'il y aura encore un Monde. Et c'est ce qui me fait vraiment peur et il y a aussi quelque chose qui n'est pas abordé, en termes de ce qui a été appelé les "monstres de l'id" (en psychanalyse, le ÇA est l'ensemble des désirs instinctifs non coordonnés), l'agression reptilienne qui se trouve vraiment dans la partie reptilienne de l'évolution, au cœur du cerveau. Et c'est ce qu'on laisse plutôt s'épanouir au détriment de la Culture et à la place de l'Art, de la beauté, de l'amour et de la sexualité... Il existe donc, de fait, un MONDE ALTERNATIF mais il n'est pas assez fort et prégnant, par définition !

JPS : Oui mais est-ce que cela s'est vraiment déjà produit à une époque quelconque (l'Antiquité ou la Renaissance peut-être) ?

JR : C'est là le vrai problème du Monde de l'Art, c'est-à-dire que les gens sont vraiment effrayés, contraints et soumis à un état de peur. Ils ne peuvent pas dépasser cet état pour comprendre la beauté de l'Art et de la Culture et ce pourquoi ils sont, tous les deux, si importants et essentiels !

JPS : Oui, Johnes, c'est un état des lieux vraiment attristant sur l'état de délabrement de notre évolution culturelle commune.

JR : Je suis désolé mais cette semaine, tu sais, comme je te l'ai raconté, je me suis réveillé terrorisé, la nuit, par les choses qui se passent actuellement dans le Monde.

JPS : Oui, parce que de nos jours, il y a cette guerre entre la Palestine, Israël et l'Iran et puis toujours cette foutue guerre en Ukraine, etc.

JR : Nous n'aimerions pas que ce soit vraiment les derniers jours de notre Monde ! Tu vois bien, comme voir, devant nos yeux, toutes les réalisations de la Civilisation être simplement détruites... vaporisées... Et c'est là où nous en sommes, bien regrettablement. Nous sommes en plein danger d'extinction. Et j'aimerais qu'il y ait un moyen d'envoyer ça (ton Art, nos pensées, notre amour) dans l'Univers. Comme ils l'ont fait avec le vaisseau spatial Pioneer... Voilà qui nous sommes et où nous sommes ! Voici un peu de musique que nous avons faite. Voici quelques dessins de figures d'une femme et d'un homme, faisant l'amour, pour les envoyer dans les autres parties de la galaxie !

JPS : Il y a aussi l'Art et le plaisir !

JR : Parce que nous pourrions très bien, ne plus être ici, sur Terre. Alors, ils viendront nous chercher... Nous vivons des temps difficiles !

JPS : Oui, alors écoute, tu souhaitais me poser une autre question ?

JR : Eh bien, il y a des choses auxquelles tu faisais référence, comme Fernando Pessoa ?

JPS : Alors, je ne sais pas où tu as trouvé cette citation ? 

JR : Je crois que c'était dans ton texte : Polyphonies : Arts, Cultures & Civilisations en 2022 : 

 

« TOUT CE QUI EST HUMAIN M'ÉMEUT. TOUT M'ÉMEUT PARCE QUE J'AI UNE VASTE FRATERNITÉ AVEC LA VÉRITABLE HUMANITÉ. ET MON CŒUR EST UN PEU PLUS GRAND QUE L'UNIVERS ENTIER. » FERNANDO PESSOA

 

JPS : Oh oui, pour tout te dire, j'avais essayé de lire ce livre : Le livre de l'intranquillité en français, lorsque j'étais à New-York mais je n'ai pas pu le terminer car je l'avais trouvé vraiment ennuyeux à lire mais peut-être, que je devrais le relire aujourd'hui… Je pense que c'est un auteur sympa et un écrivain respectable !

JR : Eh bien, voici une autre citation, si tu pouvais la lire stp. C'est une belle citation de William S. Burroughs !

JPS : Laquelle ? 

« Que mange la machine à fric ? Elle mange la jeunesse, la spontanéité, la vie, la beauté et surtout, elle mange la créativité. Elle mange la qualité et chie la quantité. » 

Oui, la machine à fric bouffe la création et rechie une surabondance de merdes ! J'aime beaucoup cette citation....

JR : Je l'ai vue dans tes Notes de 2022. Et Burroughs était vraiment comme un prophète pour moi !

JPS : Et tu l'avais aussi rencontré ? 

JR: Non…

JPS : Mais tu avais rencontré Ginsberg plusieurs fois ?

JR : Oui.

JPS : D'accord, j'adore lire tous ces poètes de la Beat Generation, je veux dire que j'adore Kerouac car j'ai dû lire tous ses livres…


QUELQUES LIVRES DE LA BEAT GENERATION :

- Kerouac, Les Clochards Célestes
- Gary Snyder, Montagnes et rivières sans fin 
- Ferlinghetti, Poésie, Art de l'insurrection
- Ginsberg, Journaux Indiens 
- Burroughs, Lettres du Yagé etc.


JR : Oh en fait, j'ai rencontré Burroughs (Naked Lunch), à Tanger au Maroc, brièvement. Il m'a souri car j'étais sur le bateau avec John Giorno (The American Book of the Dead) qui venait de New-York à Casablanca. Et il allait voir Burroughs et Brion Gysin (La machine à rêves) à Tanger. 

JPS : Et il était aussi avec Ginsberg ?

JR : Non, pas Ginsberg.

JPS : Quoi qu'il en soit, il parle de ce voyage dans un de ses livres Journal 1952-1962 ou ses Journaux Indiens ? où j'ai lu au sujet de son voyage au Maroc... Oh, Johnes, tu as une vie incroyable ! Je veux dire, c'est un tel honneur d'avoir cet échange avec toi !

JR : Eh bien, c'est une question de temps et une sorte de synchronicité, ce qui est, entre autre, l'une de mes grandes chances, cependant, néanmoins et malgré tout, j'ai été pauvre pendant presque la totalité de ma vie !

AVOIR UNE BONNE & BELLE VIE NE SIGNIFIE PAS NÉCESSAIREMENT ÊTRE RICHE !

JPS : Oui mais cela veut dire qu'avoir une vie bonne et intéressante ne signifie pas toujours, être riche, tu vois bien ce que je veux dire !

JR : Oui, il fallait que j'arrive ici, pour te rendre visite, c'était la chose la plus importante que je voulais faire. Et je ne souhaite pas que ce soit la dernière chose que je puisse faire au Monde...

JPS : Et tu voulais citer d'autres écrivains ou d'autres faits ?

JR : Comme tu veux, parce que j'ai une liste d'autres auteurs, à citer comme Le léopard des neiges de Peter Matthiessen.

JPS : En fait, j'ai trouvé spécialement pour toi cette citation, parce que je sais que tu collectionnes et exposes principalement des artistes marginaux qui font de l'Art Brut à ta Azoth Gallery de New Haven. 

JR : Non, pas seulement, pour certains oui, c'est un mélange...

JPS : Mais la plupart d'entre eux le sont, je veux dire en fait que beaucoup d'entre eux sont des artistes marginaux !

JR : Oui !

JPS : Tu es d'accord avec moi, Johnes, à chaque fois que je suis allé voir une exposition dans ta galerie, il y avait des énergumènes un peu fous mais qui faisaient de superbes peintures... Alors, par respect pour toi, je voulais citer Jean Dubuffet. 

JR : Ok, super ! 

JPS : Parce que c'est lui qui a créé le Musée de l'Art Brut à Lausanne, en Suisse (le premier Musée d'Art Brut au Monde). Et c'est vraiment dommage que nous ne puissions pas aller le visiter cette fois-ci… Mais quoi qu'il en soit, il a dit : 

« Je suis convaincu que l'Art a beaucoup à voir avec la folie. La folie est un état de super santé mentale. La normalité est psychotique. La normalité est synonyme de manque d'imagination, de manque de créativité. »

 

Ce sont de très belles phrases et peut-être aimerais-tu parler des artistes que tu as exposés pendant des années ou d'autre chose ?

JR : Eh bien, c'est quelque chose sur lequel j'ai déjà écrit. Et je veux dire que cela a à voir avec la façon dont nous percevons la schizophrénie. Le problème, c'est que l'on l'ignore ou qu'on croit qu'il faut la guérir, de sorte que, tous les symptômes de la compréhension symbolique sont tout simplement effacés, en quelque sorte… L'autre problème, c'est que la façon dont le comportement est associé à la schizophrénie, parfois, comme dans le cas de Bartleby, qui n'était pas du tout un homme malade ni fou ! Il était, comme Deleuze l'a dit, le médecin d'un Monde malade, d'une Amérique malade. Et en fait, son esprit et son intelligence se sont perdus et évaporés dans la masse, dans la nébuleuse humaine.

JPS : C'est la même chose avec Van Gogh, Soutine et Modigliani ; Soutine a eu, aussi, quelques problèmes. Tu sais, beaucoup d'artistes se sont perdus dans l'Histoire, avec un grand H, c'est le problème. Peut-être que le Monde n'est pas fait ou qu'il n'est pas vraiment adapté pour nous autres, artistes. C'est pour cela que nous sommes comme de "l'autre côté de la Lune" ! Nous sommes vraiment factuellement de l'autre côté, à l'opposé, dans l'ombre de la Lune. Nous sommes différents.

JR : Sublunaires…

JPS : Nous sommes différents, oui et je voudrais citer Thomas Bernard. Je ne sais pas si tu le connais ? Mais il parle paradoxalement de ce que font la plupart des artistes officiellement connus, en se 'prostituant' aux pouvoirs, la plupart du temps. Il vivait à Vienne, en Autriche, d'où tu arrives justement. Et il détestait vraiment tous les artistes viennois et la scène artistique de ce lieu ! Il les détestait férocement, viscéralement et fondamentalement ! Je recommande, à tous de lire ce livre incendiaire :

THOMAS BERNHARD, MAÎTRES ANCIENS

« Les peintres n'ont pas peint ce qu'ils auraient dû peindre mais seulement ce qu'on leur a demandé de peindre ou ce qui leur a rapporté de l'argent ou de la célébrité. »

 

Quelque part, c'est vrai que des artistes comme Rubens, Velasquez, Picasso, etc., tous ces peintres célèbres, ne peignaient, pour la plupart du temps, que pour le pouvoir et les riches (églises, rois, princes, collectionneurs etc.). Mais ils n'avaient peut-être pas d'autres choix. Quoi qu'il en soit, vous devez bien gagner de l'argent pour continuer votre travail, produire de l'Art et payer le loyer de votre studio...

JR : C'est la tragédie de Van Gogh et je cite, souvent, la première scène du film de Robert Altman Vincent et Théo.

JPS : Avec Kirk Douglas ? (J'avais confondu avec le superbe film Lust for Life de Vincente Minnelli)

JR : Non, c'est dans le film d'Altman de 1990 qui commence quand Theo arrive dans la masure de Vincent, là où il vivait. Et Vincent est allongé sur son lit de camp, en train de fumer sa pipe et de dire : « Ma vie est complètement merdique. Tout le monde se fout de ce que je fais, je pourrais être mort, ça n'aurait aucune d'importance. Tout mon Art ne signifie absolument rien pour personne ! » Et Theo n'arrêtait pas de lui dire : « Attends, Vincent, attends, attends, attends donc ! » Et Vincent continue de dire : « J'attends, j'ai attendu toute ma vie et il ne s'est jamais rien passé, RIEN ! » 

JPS : Exactement ! 

JR : Et ce qu'a fait Altman, dans son superbe film était si puissant. Il a pris les images de la vente aux enchères chez Christie's… et les a placées en contre-champ de la scène, avec juste la bande sonore. Alors, on voit la vente chez Christie's… On voit les commissaires-priseurs : « Nous avons ce lot, c'est Vincent van Gogh, Les Iris »...

JPS : Combien ? 20 millions ?

JR : J'entends bien : 5 millions... 10 millions... 15... 20... 53 millions !

JPS : Altman a donc fait ce film ? Je ne l'ai malheureusement jamais vu.

JR : Et c'est déchirant, vraiment. Tu sais, nous ne souhaitons pas rester éternellement scotchés dans cette période temporelle si matérialiste où la compréhension, l'appréciation et la signification de l'Art est rejetée en faveur d'un non-sens qui n'a aucun rapport avec le sens profond et intime de la Vie, le sens profond de la réalité. 

JPS : Exactement, oui, tu as raison !

JR : À ce sujet, ce que tu fais Jean-Pierre, ici, dans ton atelier, est très important en termes de Vie, d'énergie, en termes d'expérience spirituelle, en termes de la signification et de la présence de l'ÂME.

JPS : Oh merci, merci beaucoup. Merci cher Johnes, c'est un vrai plaisir de t'accueillir ici, parmi nous ! 

JR : Merci Jean-Pierre de m'avoir invité chez toi et si tu souhaites citer d'autres extraits, n'hésite pas à le faire... 

JPS : Je t'en prie, j'aimerais juste finir notre entretien avec ce petit extrait de cette none française du XIIIe et c'est la deuxième fois que je termine un entretien filmé avec une citation de cette femme qui s'appelle Marguerite Porete. 

JR : Ah, oui, d'accord ! 

JPS : Le miroir des âmes simples et anéanties, qui se traduit en anglais par The Mirror of Simple and Destroyed Souls, l'auteur était une femme… Oh mais je suis vraiment désolé car je ne l'ai pas traduit en anglais mais je vais vous le lire en français, c'est arrivé comme ça mais je le traduirai dans la vidéo… 

JR : Oui, bien sûr, c'est très bien.

JPS : Je suis encore désolé, donc voici : 

« Marguerite Porete, est une femme de lettres mystique et chrétienne de la communauté religieuse laïque de l'ordre religieux mendiant des béguines, née vers 1250, brûlée [parce qu'elle avait écrit ce livre] en place de Grève (à Paris) le 1er juin 1310 avec son livre Le Miroir des âmes simples, elle compte au nombre des martyrs de la liberté de penser. » (Wikipedia)

 

LA LIBERTÉ DE PARLER ! C'est dans le chapitre 85 :

 

« CHAPITRE 85. AMOUR : 
Cette âme est libre,
plus que libre,
parfaitement libre, 
suprêmement libre, 
à sa racine,
en son tronc, 
en toutes ses branches
et en tous les fruits de ses branches. » P. 157

 

POUR MOI, C'EST LA DÉFINITION PARFAITE DE LA LIBERTÉ ET LES ARTISTES DOIVENT ÊTRE LIBRES ! QUOI QU'IL PUISSE LEUR ARRIVER !

Pour moi, c'est exactement la définition exacte, précise et parfaite de la liberté et les artistes doivent être et rester libres, tout d'abord et avant tout, de toute façon et quoi qu'il leur arrive ! Merci encore à toi, mon cher ami Johnes d'être venu aujourd'hui, c'était un vrai plaisir d'échanger avec toi et j'espère que les gens apprécieront notre entretien et que, tout à l'heure, nous aurons une belle journée, aujourd'hui. Il fait un peu soleil et nous irons déjeuner ensemble. Au revoir à tous, j'espère vraiment que vous allez bien, où que vous viviez... Johnes, à bientôt mon cher ami.

JR : Jean-Pierre, quel plaisir et quelle joie dans ma vie.

JPS : Merci beaucoup et s'il te plaît, dit bonjour à Miguel Baltierra et aux autres amis New-Yorkais de ma part. 

JR : Je le ferai, bien sûr...

JPS : Ok, c'est la fin mes amis ! Au revoir à tous et à toutes !