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INTERVIEW AVEC JOHNES RUTA, HISTORIEN & CRITIQUE D'ART [en anglais, sous-titré en français]
Interview avec mon ami de toujours, Johnes Ruta, venu des USA, pour me rendre visite, ainsi qu'à d'autres amis artistes à Prague, Vienne et Paris, lors de son voyage en Europe au printemps 2024.
Nous avons filmé ces entretiens le dimanche 21 avril 2024 et il faisait très froid dans l'atelier. Johnes, comme toujours, avait beaucoup de questions intéressantes à me poser….
À propos de Johnes Ruta : "En tant qu'activiste artistique, je considère que ma mission personnelle est de développer la compréhension publique de la créativité individuelle en particulier, en ce qui concerne l'appréciation des arts, de la culture et de l'évolution positive de l'humanité."
- Théoricien de l'art originaire de New Haven, Connecticut, États-Unis, il a travaillé avec des artistes du Monde entier, en tant qu'éditeur d'un journal artistique dans les années 1970, et en tant que conservateur indépendant depuis 1988 à la Azoth Gallery de New Haven, créant des expositions collectives et individuelles dans de nombreux lieux et galeries professionnelles du Connecticut et de New York. Au cours de sa carrière, il a été consultant en développement de systèmes de données dans les domaines de l'aérospatiale et de l'ingénierie chimique. Son roman surréaliste Fires Eternal Morning, composé de rêves, a été publié en 2015 par Poets Choice Press. Depuis 2001, dans le Connecticut, il a parrainé des symposiums historiques occasionnels de trois jours avec des présentations de mathématiciens, d'architectes, de mythologues et de scientifiques de tous les États-Unis.
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JOHNES RUTA : Bonjour, nous sommes le 21 avril 2024, je m'appelle Johnes Ruta et je viens de New Haven, Connecticut, États-Unis. Je suis conservateur indépendant, théoricien de l'Art et écrivain et je suis ici avec mon cher ami de longue date Jean-Pierre Sergent, que j'ai connu à l'époque où il vivait à Long Island City, à New York où il est resté jusqu'en 2003. Je suis venu ici pour parler avec lui, passer un peu de temps, voir son travail et ce sur quoi il travaille actuellement et aussi renouer notre amitié. J'aimerais donc lui poser quelques questions sur ses sujets et l'entendre parler de manière aussi informelle que possible dans notre entretien. J'ai donc quelques questions à lui poser sur son séjour à New York et sur les années qu'il y a passées de 1993 à 2003. Comment es-tu arrivé à New York Jean-Pierre ? Et quelles ont été tes rencontres, là-bas, avec les autres artistes et tes affinités avec la Beat Generation, avec Alexandra David-Néel...
JEAN-PIERRE SERGENT : Ah oui mais elle ne fait pas du tout partie de la Beat Generation !
JPS : Deuxième partie, Johnes, alors tu souhaitais parler d'autre chose ?
JR : Oui, on continue un peu notre discussion ouvertement sur ta technique artistique pour l'instant et ensuite nous relierons ça au côté plus philosophique de ton travail. Tu pourras faire d'autres associations comme tu le souhaiteras. Quelque part, tes travaux sérigraphiques sont construits par une superposition de motifs, d'images et de figures, parfois de couches sous-jacentes et avec la technique dont nous avons parlé, de la peinture inversée sur verre ! En peinture, j'ai souvent vu cela, mais imprimé, c'est beaucoup plus compliqué ! Donc, ton procédé du verre inversé consiste à peindre les 4 premiers plans (les premières couches) en sérigraphie à l'intérieur d'un carré de Plexiglas transparent de 1,05 x 1,05 m de côté. En fait, tu travailles de l'intérieur vers l'extérieur, en accumulant des couches successives et ton imagerie est souvent constituée de motifs d'étoiles imbriquées, des patterns répétitifs comme dans l'art arabique non figuratif (les moucharabieh : caché-dévoilé). En revanche, ton travail est davantage figuratif, avec une iconographie principalement érotique. Et je dirais que ces éléments se manifestent vraiment de manière très évidente dans ton travail. Dans le sens d'exhaustivité, c'est-à-dire que ta technique fait partie intégrante de ton processus de travail ?
JPS : Oui, en fait, j'utilise la sérigraphie. J'imprime donc les images sur cette table qui d'ailleurs appartenait à Andy Warhol et elle était, en fait, dans sa Factory à New York.
JR : Parlons un peu de question technique. Peux-tu nous parler de ton processus de travail ? Et aussi parler de certains des problèmes techniques que tu rencontres lorsque tu peins et sérigraphies une œuvre en utilisant l'impression sur plexiglas, qui ressemble au processus du travail de la peinture sous-verre inversée ?
JPS : Eh bien, c'est compliqué mais j'en arrive à un point où je sais exactement ce que je fais. Tout est prêt pour mes impressions. J'ai l'habitude, tu sais. Bien sûr, c'est compliqué d'imprimer sur une surface aussi lisse et glissante que le Plexiglas, oui, c'est vraiment compliqué. Surtout pour le repérage et calage des images, parce que les panneaux de mes peintures sont divisés en deux parties. Je dois donc bien repérer et régler parfaitement les films et les cadres des écrans sérigraphiques, afin que l'image soit parfaitement imprimée. Mais ça fonctionne bien et maintenant, tout est au point !
JR : Oui.
JPS : Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, comme souvent, mon principal problème est de trouver l'argent pour travailler car j'ai besoin d'acheter de la peinture, des encres et du papier. Heidi Suter, ma galeriste de Zurich vient de m'acheter une peinture sur Plexiglas, ce qui me permet d'acheter des nouveaux matériaux pour travailler cette année et j'en suis très heureux et soulagé !
JR : Et tu travailles toujours avec de l'encre ou de la peinture ?
JPS : Principalement avec de l'acrylique, de la peinture acrylique pour artiste normale.
JR : Ah oui, donc, ton travail est un processus d'accumulation de couches et d'ajout de plusieurs strates de peintures et d'images les unes sur les autres ?
JR : Donc Jean-Pierre, en tant qu'observateur théorique, je peux voir et sentir les subtilités qui émergent des couches internes des motifs de tes peintures, souvent après les avoir regardé pendant une certaine période de temps, ce qui est très intéressant pour un collectionneur d'Art, parce que ce qui se passe, à bien des égards et dans beaucoup des œuvres de ma propre collection, c'est que j'y vois des choses différentes car au fil du temps, tes œuvres changent à chaque fois que je les regarde…
JPS : Oui, bien sûr.
JR : C'est génial, parce qu'elles sont subtiles. Après la première observation, les choses changent, ainsi que les sensibilités et les affinités des objets et des figures et chaque figure qui est représentée, comment dirais-je, est inclue dans un contexte visuel particulier ! En montrant des présences qui se rapportent à des questions érotiques et des relations entre les individus, qu'en penses-tu ?
JPS : Je vais te raconter une petite anecdote, qui date de l'époque de notre rencontre à l'Alliance Française de New York, en 1998 où j'avais 4 peintures exposées côte à côte (140 x 560 cm) dans le couloir d'entrée pour l'exposition Suspended Time et la réceptionniste était assise juste devant mes peintures, pendant peut-être deux semaines…
JR : D'accord, Jean-Pierre, j'aimerais revenir sur un point, nous avons parlé de la déesse égyptienne Isis et de ce que tu en as écrit au sujet de ces présences mythiques qui explorent les profondeurs insondables de l'intimité… Et, j'ai trouvé cette perception très intéressante. Et je voudrais essayer, je ne te demande pas, par contraste, cependant mais comment les théories et les philosophies de John Cage, avec son idée du Silence, aussi, ont également à voir avec le Vide… Le Vide en lui-même, ce qui se trouve à l'intérieur du Vide, du Silence. Et, ce qu'il a fait, c'est d'élaborer, tout d'abord, une sorte d'approche d'un Silence Absolu, si une telle chose existe ? Deuxièmement, qu'il y a une harmonie organique dans la structure même de la vie humaine et du vivant, qui fait qu'il n'y a jamais de tels silences à proprement parler. Je ne veux pas entrer dans cette histoire trop en profondeur mais une chose curieuse qu'il a raconté très brièvement, est qu'il est allé dans la chambre anéchoïque du MIT (Massachusetts Institute of Technology) et entrant dans la chambre, le technicien a dit : "C'est un endroit où il n'y a absolument aucun bruit !"
JR : Jean-Pierre, tu voulais parler de Tarkovsky ?
JPS : J'ai une phrase à citer de lui, bien sûr. Donc oui, Johnes, c'est à toi :
JR : Dans tes Notes 2023, tu fais également référence au livre de Tarkovski intitulé Le Temps scellé, que je ne connais pas. Et je suis très curieux parce que son cinéma est très intéressant, y parles-il plutôt de son œuvre cinématographique ?
JPS : Il s'agit de ce qu'il pense lorsqu'il tourne des films (sur l'Art, la littérature, le temps, les films, les acteurs...). J'aime beaucoup ses films. Même si cela fait très longtemps que j'ai vu un de ses films, il est vraiment intéressant en tant que créateur... Il parle des livres, de la Nature et de la Vie... En fait, j'ai quelques citations de lui à te lire.
JR : Je pense à son travail en termes 'situationniste'. Comment les gens interagissent entre eux, même dans des environnements comme dans le vaisseau spatial, où l'un des membres de l'équipage pense qu'il voit sa femme décédée, à bord du vaisseau, avec lui.
JPS : De quel film parles-tu ? Quoi qu'il en soit, ce qui est le plus important dans les films de Tarkovski, c'est qu'ils sont toujours filmés dans la Nature, la plupart du temps. La Nature, avec le Feu, l'Eau, les Arbres, tous les éléments primaires sont là ! L'amour et la mort aussi ! C'est un peu comme Terrence Malick dans Le Nouveau Monde (2005), qui est aussi un cinéaste très célèbre et très spirituel. Alors, Tarkovski a dit :
« Quand je parle de l'aspiration au beau (nous en parlions à l'instant), de l'idéal comme but ultime de l'Art, qui découle d'un désir ardent pour cet idéal, je ne suggère pas un seul instant que l'Art devrait fuir la "saleté" du Monde. Au contraire ! » Andrei Rublev, Tarkovsky